Tout ce qui passe est symbole. Goethe
Le 3 mars 2021 le Sénégal aura connu un tournant dans la course de son histoire. Les fracas, remous et violences qui ont édulcoré le fil blanc du tissu social, menacé la paix et fait présager du pire constituent un fagot de maux qui ont dûment fait flancher la barque, peut-être de manière inéluctable.
Les Sénégalais ont longtemps flirté avec l’idée que le culte de la paix sociale et le bannissement de la violence étaient des réflexes rigoureusement Sénégalais, une marque de fabrique miraculeusement insufflée dans la matrice de la nation, et que jamais pour une affaire quelconque fut-elle politico-judiciaire le tandem de la stabilité nationale ne se retrouverait à être ainsi fortement bafoué, griffé, rudoyé, mis à rude épreuve.
Et voilà que du maussade à l’exécrable, de bon élève, le Sénégal s’est soudainement mis à se dévêtir de ses habits illustres pour arpenter le banc des pays mauvais élèves en matière de démocratie et du culte légendaire de la stabilité.
Même si en soixante-douze heures de conflit on ne peut présager la chute d’un modèle socio-politique qui navigue depuis 1960, il reste que, quand au sortir des échauffourées l’on a pu dénombré quatorze pertes en vie humaines et plus de 600 personnes blessées, le grand boubou blanc de notre démocratie ne peut s’en sortir sans être recouvert de taches indélébiles.
Et l’escalade qu’a connue la violence de jeunesses obstinées à tordre le bras à l’Etat, l’enlisement irrémissible des canaux de médiation et surtout ce refoulement de l’interventionnisme du pouvoir religieux et coutumier de rendre compte d’une évidence.
À mille lieux des considérations politiques ou politico politiciennes sur lesquelles on pourrait objectiver, la crise politique du mois de mars 2021 débouche sur un constat, sans doute le premier.
Les ressorts ayant longtemps soutenu le modèle de paix et de stabilité à la Sénégalaise depuis l’indépendance se sont érodés et font à l’heure actuelle signe d’avoir été atteint d’une sclérose.
Il ne s’agit ni plus moins que de ce soubassement constitué par l’islam confrérique, le clergé, le pouvoir coutumier ainsi qu’une certaine classe des filets sociaux.
Comme on a pu le constater, la difficulté d’éteindre les flammes du conflit qui s’amoncelaient à l’horizon de la bataille politico-judiciaire sans doute des plus graves de l’histoire politique sénégalaise- démontre à quelle point l’Etat Sénégalais s’est aujourd’hui empêtré dans l’air d’un républicanisme débridé, laborantin qui l’installe au bord du brasier et menace la paix.
Depuis 2012, le Sénégal a sans doute surfé sur les vagues d’un nouvel ordre politique. Celui-ci coextensif au projet de la seconde alternance et dont la naissance est plus lié à l’éclosion d’une pensée venue d’ailleurs qu’à l’attrait de l’évolution des mœurs politique.
Un ordre politique dont la marque première de fabrique fut ce qu’il faille appeler l’écroulement des idoles, la désacralisation des symboles par la promotion d’un iconoclasme politique substituant les figures par les figurines.
En réalité, le modèle de république calqué sur la troisième république française a systématiquement été expérimenté sous nos cieux et les fondements sociologiques de la vieille république excommuniés, relégués au calendes grecques et sitôt défaits de l’espace publique.
Ce qui a vite empêtré l’Etat dans l’ère d’une république à découvert, de fil en aiguille séparée de ses écrans de soutien et de sauvegarde tout en réussissant à mettre enfin corps à corps le front social et le front politique: deux combustibles qui en l’absence de contre feux, peuvent en temps de crise s’immoler, s’anéantir et précipiter n’importe quel pays dans la crise.
La crise politique que nous avons d’ailleurs vécue à partir du 3 mars 2021 a été largement révélatrice de cette donne plus que handicapante pour la stabilité nationale.
Mais comme disait Léon Gambetta « il faudra à un moment donné que les effets cèdent devant les causes ».
En réalité , les causes de l’essoufflement des figures sont d’abord à chercher dans un discours qui a sabordé toute une philosophie de vie en admettant que cette frange régulatrice pouvait être rabaissée à un rang de citoyen ordinaire.
Sous le champ de cet ordre politique inhérent à l’alternance, des forces idéologiques non de relève mais de laïcisme donneront à cette donne une amplitude beaucoup plus savante par le prisme du bannissement de toute référence aux religieux de l’espace publique et dans la décision politique.
Si la crise économique et la précarité sociale auront, elles aussi, fortement contrebalancé le règne des figures dans le temps et dans l’espace avec l’urbanisation, leur musellement de la décision publique n’est que le résultat de ce discours politique né du besoin d’une nouvelle affirmation à tort ou raison inféodée à des non-valeurs.
Le discours politique né au Sénégal depuis 2012 a été tour à tour de rupture, d’élitisme, d’anti système et, sous le feu de l’action, de révolution.
Lesquels discours ayant un certain un point en commun: instaurer un projet de république élitiste qui ne définit pas ou ne situe le rôle de chape que doit jouer cet écran de sauvegarde dans la nouvelle république.
Si en France l’installation de la république s’est fait en bannissant l’église de l’espace publique sous couvert de la loi de 1905 concernant la séparation de l’Etat de l’église, au Sénégal la république ne peut se passer de ses ressorts sociologiques qui ont jusque-là garanti sa stabilité.
Le 3 mars 2021, au moment où les figures furent instinctivement muselées dans le processus de recherche de paix, le front social et le front politique se sont retrouvés vite en chien de faïence et au cœur d’une rue publique qui a vite fait de virer au drame.
Ce qui démontre au moins une chose: le modèle de stabilité à la Sénégalaise perdra de sa superbe le jour où la république se démarquera des figures morales, pacifistes qui l’encadrent depuis 1960.
Fort de cela , le projet de consolidation de la république Sénégalaise ne doit aller dans le sens d’emprunter les pas du modèle de la troisième république ou de puiser dans des influences non endogènes, au risque de le voir péricliter comme beaucoup de ses compères en Afrique.
La subsistance de notre modèle de république face aux nombreuses crises qui ont écumé plusieurs démocraties africaines, est même en partie lié à ce modèle hybride de la république caractérisé par l’existence de piliers qui encadrent, fédèrent et apprivoisent les ardeurs incendiaires.
Ce début de paix que nous devons une nouvelle fois à l’intervention de ces figures au moment où les figurines se sont enlisées est fort évocateur de ce que doit être le modèle de notre république.
C’est pourquoi, l’entreprise actuelle de dénigrement au cœur duquel se situe le religieux est dangereux pour la démocratie . Après avoir longtemps pointé à hue et à dia le pouvoir comme étant l’instigateur principal de la désacralisation des figures, l’opposition n’aura, à force de vouloir rallier les autorités religieuses à sa cause du moment, manqué de porter atteinte à leur honorabilité par l’instrumentalisation de la doctrine de Bush: « soit vous êtes avec moi soit vous êtes contre moi ». Ce qui évidemment place toute attitude impartiale ou toute neutralité dans le tuyau des « pro-pouvoir » et malencontreusement dans les rangs de ceux qui subissent ou devront subir la violence verbale de partisans dont l’expressif traduit sans doute la faillite des écoles de parti.
Et qu’on doive donc arriver vers un recentrage de l’autorité religieux et coutumier au centre de notre république compte tenu de la nécessité du maintien de la paix, le véritable pétrodollar Sénégalais.
Œuvrant jusque là de manière officieuse, ces autorités doivent disposer à coup sûr de la place qui leur revient. Au nom de la Paix!
Le scribe