Octobre, décrété «mois du consommer local » par l’Union économique et monétaire ouest Africaine (UEMOA) creuse son sillon au Sénégal, où les populations s’intéressent aux grandement produits locaux. Interrogé par Rewmi Quotidien, Seydina Aboubacar Sadikh Ndiaye, Directeur des PME est d’avis que la relance de l’économie sénégalaise, durement frappée par la pandémie de Covid-19, doit passer par un changement d’habitude de consommation, en faveur du consommer local. Entretien !
Vous avez effectué une tournée à travers les 13 régions du Sénégal pour préparer le mois du consommer local. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je dois dire que le « Mois du consommer local » est une commande du Chef de l’Etat. Sur instruction du Président Macky Sall adressée au Ministre du Commerce, il a demandé au Département de tenir cette activité dans le respect des règles sanitaires. Le Chef de l’Etat tirant les enseignements de la crise sanitaire a donné des instructions pour que le gouvernement puisse dérouler des actions multiformes et pérennes afin de faire triompher un état d’esprit nouveau centré sur la culture du consommer local sénégalais pour l’affirmation de notre souveraineté économique. Et Aujourd’hui, à l’instar des autres pays, je pense qu’on est arrivé à une situation où nous devons produire ce que nous consommons, mais aussi consommer ce que nous produisons. En consommant ce que nous produisons, nous encourageons les producteurs et les transformateurs à entreprendre, nous encourageons aussi l’industrialisation locale et la création d’emplois, en particulier, l’emploi des jeunes et des femmes. C’est la seule voie tracée pour restaurer les dynamiques endogènes d’un développement économique solide. Ainsi, il faut que les sénégalais comprennent en consommant les produits locaux, nous allons assurer notre développement endogène et sécuriser notre croissance. Il s’agit également au secteur privé de produire des biens et des services pour répondre aux besoins des populations et à la demande intérieure en termes de prix et de qualité. Ce mois du consommer local sera un moment fort pour faire connaître le savoir-faire sénégalais. Nous allons faire connaître aux sénégalais les ressources locales ainsi que les produits et services made in senegal qui existent dans ce pays.
Quel est l’état des lieux des PME au Sénégal ?
Ce qu’il faut noter, c’est que déjà en 2016, il y avait un recensement général qui avait été fait par l’ANSD. Ce recensement a permis de noter qu’au Sénégal, 99,8% du tissu économique est constitué de PME. Et l’essentiel de ces PME évoluent dans le secteur informel, soit 97% du tissu économique. Et si vous analysez toujours ces statistiques en profondeur, 81,8% des PME sont des entrepreneurs individuels. Et les très petites entreprises représentent 16,04%. C’est pour dire que l’essentiel du tissu économique est constitué d’entrepreneurs individuels et également de très petites entreprises ou de micro-entreprises.
Peut-on bâtir une émergence avec le secteur informel ?
Vous savez que les entreprises du secteur informel sont caractérisées par leur faible productivité mais également leur faible compétitivité. Ce sont des entreprises en général qui sont vulnérables de leur environnement. C’est pourquoi je pense que pour aller vers l’émergence, il faut accompagner ces PME vers la formalisation, mais cela nécessite beaucoup d’incitations. C’est pourquoi le gouvernement du Sénégal dans le cadre de la relance de l’économie va mettre en œuvre un programme d’accompagnement des PME à la formalisation à travers des incitations de financement. Mais aussi, nous sommes engagés de voir avec la Direction générale des impôts et Domaines comment intégrer des incitations fiscales. De même aussi avec nos collègues de la Direction du travail et de la protection sociale nous envisageons de voir comment élargir la protection sociale aux entreprenants. Des pays comme le Maroc ont réussi à accélérer la formalisation c’est-à-dire la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. Ce, en intégrant dans le dispositif d’accompagnement des PME des incitations fortes fiscales, sociales mais également des possibilités de financements. Rester dans le secteur informel souvent empêche la PME de saisir des opportunités. La première opportunité, c’est le financement bancaire. Beaucoup de banques souvent n’acceptent pas de financer simplement parce que la PME ne présente pas des états financiers crédibles. Pour être financé, la banque vous demande de présenter les derniers états financiers au-delà du registre de commerce et du ninea (…). C’est pourquoi j’invite les PME qui ne le sont pas encore de nous rejoindre dans ce programme de l’Etat dans le cadre de la relance pour se formaliser. De même, pour en bénéficier des instruments financiers que nous avons mis en place au niveau de l’ADEPME et au Bureau des Mise à niveau, il faut accepter de se formaliser.
Quelles sont autres les difficultés rencontrées par les PME ?
Parmi les premières difficultés les plus récurrentes, c’est l’accès au financement bancaire. Mais il y’a aussi d’autres problèmes comme l’écoulement des produits. Durant la tournée que j’ai effectuée dans les 13 régions du pays, j’ai constaté que l’écoulement était un problème récurrent. A Louga par exemple, on nous parle d’excédent de produits laitiers durant certaine période et ce lait-là est versé à même le sol. Les problèmes liés à l’écoulement peuvent être situés au niveau des infrastructures de stockage et de conservation mais aussi les capacités de transformation. Il faut les former à transformer ces produits afin de pouvoir les écouler.
Quelle est la contribution des PME dans le Pib ?
Il y’a une étude qui a été faite par l’ANSD je pense il y’a quelques années et cette étude a montré environ les PME contribuent à hauteur de 30% du PIB. Sur les exportations aussi les statistiques ont montré aujourd’hui que les PME n’ont pu capter que 16% des exportations totales. C’est pour vous dire qu’il y’a une nouvelle stratégie des exportations qui est en train d’être préparée au niveau du gouvernement pour permettre les PME à être beaucoup plus présentes dans certains marchés extérieurs, surtout dans le marché africain avec la mise en œuvre prochaine de l’accord sur la zone de libre échange en Afrique. Il s’agira aussi de travailler pour améliorer la compétitivité de nos PME. Les sénégalais ont constaté que les produits locaux sont souvent chers par rapport aux produits importés. Maintenant ce qu’il faut dire, c’est que nos produits sont des produits de haute qualité. Les recherches montrent que nous avons des produits très compétitifs du point de vue de la qualité. Toutefois, il y’a lieu de discuter pour voir les facteurs qui grèvent les structures de prix.
Que préconisez-vous pour régler les problèmes d’accès aux financements ?
Nous avons un dispositif de re-financement des banques commerciales que la Bceao a institué et que j’ai l’honneur de présider. Ce dispositif a commencé à porter ses fruits parce qu’il s’agit pour la Bceao d’accorder des incitations très fortes aux banques commerciales pour financer les PME. Concrètement, il s’agit, pour tout prêt accordé aux PME, la Bceao refinance à hauteur de 90% de l’encours total accordé à la PME. Mais nous avons tenu une réunion régionale avec l’ensemble des acteurs du dispositif pour voir, au-delà de ces incitations, qui est-ce qu’il faut faire pour améliorer l’accès au financement des PME. Nous allons tenir une réunion très prochainement avec les acteurs, les structures d’appui et d’encadrement, la Bceao, bref tous les services concernés pour voir comment on peut rendre plus opérationnel ce dispositif.
A qui la faute ?
Vous savez que la banque c’est une entreprise à qui on demande financer une autre entreprise. Et si vous devez financer une entreprise informelle vous allez regarder par deux fois avant de la financer. Vous préférez mettre les ressources qu’on vous a confiées entre des mains sûres. C’est pourquoi, la banque regarde, au-delà des problèmes de garanties, ce qu’on appelle en économie, les problèmes liés à la sélection adverse et l’aléa moral. La banque regarde si l’argent qu’on va vous remettre sera utilisé pour le projet que vous avez proposé ou bien si l’argent qu’elle va mettre entre vos mains sera utilisé à bon escient. La banque regarde au-delà même la moralité des gérants de l’entreprise. Et la raison profonde est que les banques sont souvent confrontées à des taux de défaut très élevés, évalués à plus de 30%.
La plupart des PME sont des entreprises mort-nées. Qu’est ce qui est à l’origine ?
Les études ont montré que diverses raisons expliquent pourquoi les entreprises tombent en faillite. Cela est lié déjà à l’environnement de l’entreprise parce que la PME est vulnérable de son environnement. En outre la PME est caractérisée par une faible productivité et un niveau de compétitivité très faible comparée à la grande entreprise formelle. La logique de la PME n’est pas toujours la même que celle de la grande entreprise. La grande entreprise dans la plupart s’inscrit dans une logique d’accumulation, de recherche de profits, d’extension, d’expansion, … Ce n’est pas toujours la logique de la PME. C’est pourquoi nous avons mis en place des instruments pour aider les PME à renforcer et à moderniser leurs équipements, ainsi que des programmes de formation et d’assistance technique. Il existe aussi une cellule d’entreprise en difficulté au niveau de l’ADEPME pour essayer d’apporter des solutions aux difficultés des entreprises.
Quelles sont les innovations apportées par la loi d’orientation ?
Oui la loi d’orientation a été votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le chef de l’Etat. Cette loi apporte beaucoup d’innovations, beaucoup d’incitations en faveur de la PME. Ce qui est important de noter c’est que la loi crée déjà un Conseil national des PME qui est un cadre de partenariat, d’échanges, de suivi évaluation des politiques et programmes en faveur des PME. Cette loi a aussi créé le fond national des PME. Le décret est dans le circuit et une fois signé, ce fond national sera doté de budget pour permettre de prendre en charge toutes ces difficultés que j’ai soulevé tantôt. Je vous ai parlé de la formalisation qui a un coût. Il faut aider la PME à avoir une comptabilité selon la norme Syscoa. Cela nécessite des dépenses. De même l’élaboration d’un business, entre autres, difficultés. Ce fond permettra de prendre en charge tout cela.
Le secteur des PME a-t-il été impacté par la Covid-19 ?
Le monde a été frappé par la Covid et aucun pays n’a été épargné. Personne ne s’attendait à cette Covid qui a surpris tout le monde. Si vous regardez les projections de la FMI et de la Banque mondiale, elles montrent que même la zone euro va connaître une forte décroissance, l’Afrique y compris et les USA. C’est vrai que des mesures vigoureuses ont été prises au Sénégal dans le cadre du programme de la résilience économique et la gestion de la pandémie pour soutenir les populations et les entreprises. Mais, on s’attend à une décroissance d’après les statistiques que nous avons reçues de l’ordre de -0,7%. Il paraît même que ces statistiques vont être revues à la hausse pour tenir compte des niveaux de productions satisfaisantes obtenues cette année. Tout cela c’est pour vous dire que globalement la crise continue d’être bien gérée au Sénégal comparé à certains pays qui seront en profonde récession économique.