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Serigne Ngagne

Serigne Ngagne: «On ne fait pas du théâtre pour être célèbre»

Révélé par la « troupe Diankhène » de Thiès, dans les années à 2000, Ablaye Diouf connu sous le pseudonyme de Serigne Ngagne, est l’un des rares artistes comédiens qui se sont efforcés à se frayer une place sur la scène culturelle. Serigne Ngagne est un touche-à-tout qui a bel et bien trouvé sa voie et s’inscrit dans nombre d’univers. Rencontre avec un artiste atypique, autodidacte et engagé qui ne conçoit pas le théâtre comme un jeu.

Qu’est-ce qui vous a poussé à faire du théâtre ?

Quand une personne choisit de faire un métier, c’est par amour pour celui-ci. On ne choisit jamais de faire un métier qu’on n’aime pas. Je fais ce métier par amour, je le vis, je suis né dans un milieu où le théâtre était présent.

Comment ont été vos débuts ?

Tout début est difficile dans la vie, mais on s’attend toujours à ce que les choses, évoluent dans le bon sens. Comme on dit, c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Au début mes parents ne voulaient pas que je fasse du théâtre, mais quand ils ont su que c’était ma passion, ils m’ont soutenu. Un jour, mon père m’a dit : « le théâtre, c’est du jeu mais n’en fait pas un jeu ». Et, depuis ce jour, j’ai retenu la leçon.  Voilà où j’en suis maintenant.

Comment ont réagi vos parents à l’annonce que vous faisiez du théâtre ?

Quand tu es avec tes parents, la première chose qu’ils attendent de toi est que tu réussisses ta vie et que tu deviennes une personne responsable. Au fond d’eux, mes parents savaient, que tôt ou tard, je deviendrai comédien. Ils l’ont su à travers mes gestes, mes comportements. Bien avant que je fasse du théâtre, j’avais un don qui faisait rire tout le monde ; quand je parlais dans le quartier tout le monde accourait pour venir me voir. Et en voyant cela, ils ont compris que c’était une évidence. L’art était en moi depuis tout jeune, disons que c’est un don de Dieu.

Avez-vous fait des études ?

Oui j’en ai fait ! J’ai fait l’école coranique. En fait, j’ai arrêté l’école française pour aller apprendre le coran.

Pourquoi avez-vous arrêté la comédie pour vous tourner vers la dramaturgie ?

Je fais toujours ce que je faisais. Comme je le dis souvent, tout évolue dans la vie et quand les choses évoluent tu es obligé d’évoluer avec. Je ne peux plus conserver le même style humoristique que j’avais en 2004. Non ! Ce n’est pas possible, il y en a qui le font toujours mais moi non. Les choses ont évolué, nous sommes à l’ère du numérique et nous nous devons d’évoluer  sinon le public lui-même finira par nous lâcher. Après tout, ce n’est pas moi qui décide mais le scénario. C’est lui qui me dicte mon comportement, ma façon d’être, entre autres…

Votre série « Mbettel » a démarré une nouvelle saison, d’où est venue l’idée de faire cette série ?

Un artiste en tant que tel se doit de faire des créations, d’innover, de voir les gens avec qui il peut collaborer pour faire un travail digne de ce nom. Que ce soit « Mbettel » ou non, nous devons, chaque fois, de faire de nouvelles choses. Cette série est juste une série comme les autres. C’est seulement l’orientation qui est différente. Nous voulions faire une série avec un format de 26 minutes mais l’idée était d’en créer une qui reflétait la société sénégalaise pour que chaque citoyen puisse se voir à travers cette dernière. L’objectif était ça et Dieu a fait qu’on ait pu atteindre notre objectif. Si je devais estimer le pourcentage de réussite, je dirais que nous sommes satisfaits à quatre-vingt-dix pour cent (90%). Réussir son objectif  à cent pour cent (100%), c’est avoir l’attention des sénégalais, leur écoute et de pouvoir se faire comprendre par eux. Dieu a fait que les choses réussissent et les téléspectateurs savent que nous y avons mis tout notre savoir-faire et notre amour pour qu’elle devienne ce qu’elle est devenue aujourd’hui. En tant que Sénégalais, on a voulu refléter notre culture, notre identité à travers la série. Au Sénégal, nous devons avoir un natif,  des choses qui nous sont propres et c’est très important.

Attendiez-vous à un tel succès ?

Mais bien-sûr ! On s’attendait même à plus que ça. A chaque fois que nous faisons quelque chose, nous le réussissons. C’est le succès qui ramène les sponsors, qui fait que les gens regardent la série, mais aussi qui fait qu’ils viennent voir nos prestations dans les salles de spectacles. Il y a des artistes qui font de bonnes choses sans connaître de grand succès tandis que d’autres tirent un énorme succès de productions pourtant médiocres. Le succès est un mystère dont Dieu seul a le secret. C’est lui qui décide qui doit connaître le succès ou non.

Vous tournez avec une maison de production, comment se passe la collaboration ?

Oui, nous travaillons avec une maison de production. Nous avons commencé à travailler avec elle depuis la première saison de « Mbettel. » Nous avons discuté avec le directeur de cette maison de production et nous avons trouvé un accord. Depuis lors, nous travaillons ensemble. Au début « Mbettel » était encore un « nouveau-né » et nous ne savions pas le succès que la série allait avoir ou si nous allions avoir beaucoup de rentrée d’argent. Mais avec le producteur, nous y avons cru et nous nous sommes lancés. Pour un artiste, c’est très important de gagner de l’argent certes, mais ce qu’il faudrait gagner en premier, c’est de la visibilité. Quand un artiste n’est pas visible, le public finit par l’oublier.

Votre série « Serigne Ngagne ak Koor gui » a eu un franc succès. D’où est venue cette idée qui a duré quelques années ?

Quand j’ai une idée en tête, j’en fais part à mes collaborateurs et nous en discutons et chacun donne son avis. Après, je remets tout au scénariste pour qu’il fasse le reste. Mon premier objectif est de faire plaisir au sénégalais, je ne peux pas me permettre d’aller vendre mon art ailleurs alors que les sénégalais eux-mêmes n’ont pas apprécié. Les gens devraient faire plus attention, connaitre qui ils sont. Ce qu’ils ont et ce que Dieu leur a donné comme talent. Nous devons exploiter notre talent ici avant d’aller ailleurs. J’ai fait plusieurs pays et à chaque fois que je voyage, je n’y vais pas pour m’amuser ou pour faire du tourisme. Bien au contraire j’y vais pour représenter mon pays, montrer de quoi est capable un Sénégalais. Lors de mes voyages, quand je preste, je ne parle ni anglais, ni chinois encore moins français, n’empêche les gens viennent voir mes spectacles. J’ai mes valeurs, ma culture et pour moi c’est le plus important le reste je m’en fous.

Dernièrement, nous avons eu écho de vos différends avec Pathé Sène de la série Adja. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce malentendu ?

C’est un sujet que je n’aborderai pas, j’ai déjà dit ce que j’avais à dire concernant le sujet. Chacun a sa façon d’être, son tempérament. Je ne trouve pas l’intérêt d’en parler car ce n’est pas important. En parler peut susciter une réaction et quand il y a réaction l’histoire ne prend jamais fin. Quand je vais en guerre j’y vais tout seul sans avertir qui que ce soit.

La pandémie à coronavirus a-t-elle impacté sur votre travail ?

Mais  bien sûr comme tous les secteurs d’ailleurs. Beaucoup de choses ont changé comme les habitudes par exemple. Cette pandémie a touché le monde entier mais pour l’heure nous sommes obligés de nous résigner et de faire avec. Tout est à l’arrêt et ce n’est pas facile surtout quand tu es un responsable et que beaucoup de gens comptent sur toi

Vivez-vous de votre art ?

e rends grâce à dieu ! Je ne dirais pas combien je gagne.

On constate l’ascension de plusieurs jeunes talents. Quels conseils donnez-vous à ces jeunes ?

Quand une personne fait un « truc » mauvais, il ne conseillera à personne de refaire la même erreur, par contre, quand c’est une bonne chose, il apportera son soutien à qui le veut. Les conseils que je leurs donnerais, c’est d’abord de savoir ce qu’est le métier de comédien, le pourquoi du métier et comment on doit s’y prendre. Toute personne avant de s’engager dans quoi que ce soit doit connaitre ce qu’elle fait et avoir l’amour sinon cela ne sert à rien. Avoir l’amour du métier est la base ! On ne fait pas du théâtre pour être célèbre, ou parce qu’on veut voyager, tout ça, n’est que futilité. Quand on aime ce que l’on fait nous pouvons faire face à toute sorte de circonstances. Il m’arrivait d’aller en répétition sans manger, quand je rentrais, on m’ignorait. On disait de moi que je fuyais les travaux de la maison pour aller en répétition et bien pire, je faisais abstraction de toutes ces remarques. Je rends grâce à Dieu, c’est grâce à lui que j’ai tout ce que j’ai, que je suis connu…

Pouvez-vous revenir sur le fait qui vous a le plus marqué durant votre carrière ?

Il y en a beaucoup. Pour moi ce qui devrait le plus marquer un artiste, c’est le fait d’avoir du succès sans s’en rendre compte pour autant. C’est une chose incroyable ! Il y avait trois de mes pièces de théâtres qui avaient fait une « bombe ». Or, je n’étais même pas au courant. Un Dimanche avec mes amis nous-nous sommes rendus à la plage et au moment d’aller me baigner, j’ai vu des gens accourir vers moi, je ne comprenais pas ce qui se passait. Mes amis ont dû m’enfermer dans une buvette pour que je puisse éviter cette foule mais elle n’a pas abandonné et tout ce monde a voulu forcer le passage juste pour me voir, me parler. Je n’avais jamais vu autant de monde. Pour les leurrer, j’ai dû ouvrir la fenêtre et leur lancer un salut de la main, histoire de les calmer un peu. Ça n’a fait qu’empirer les choses. Finalement, mes amis ont pu convaincre un automobiliste de me faire rentrer dans sa voiture pendant qu’ils distrayaient la foule. J’ai donc couru à toutes jambes pour rentrer dans la voiture (rire). Ce genre de situation nous ouvre les yeux et nous donne une autre vision du métier, rien que pour ça, nous avons envie de bien faire les choses.

Que faites-vous en dehors du théâtre ?

Je ne me consacre qu’au théâtre mais j’y fais mes business et je ne dirais pas ce que c’est (il rigole).


ANNA THIAW

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