Invite au voyage entre le Sénégal et le Cap-Vert ! Son nom Mistergrogu identifie un artiste multifacette, fusion parfaite de deux cultures riches. De ce legs est née une musique unique, mêlant hip-hop, afrobeat, kuduro et rythmes traditionnels capverdiens, reflet d’un parcours artistique aussi varié que passionnant. Mais la musique n’est qu’une facette du talent de Mistergrogu. Réalisateur vidéo et photographe, il jongle avec les formes d’art pour mieux exprimer sa créativité. Son parcours a été jalonné de rencontres marquantes et d’expériences transformatrices, comme son retour aux sources capverdiennes en 2019. Aujourd’hui, l’invité de notre page people ne cesse d’explorer de nouveaux horizons artistiques. Entre ses projets musicaux et la préparation d’un film documentaire sur la communauté capverdienne au Sénégal, il continue de tisser des liens entre ses racines et son avenir artistique. Dans cet entretien exclusif, il nous ouvre les portes de son univers créatif, partageant les moments clés de son parcours et ses aspirations pour l’avenir.
Vous êtes connu sous le nom de Mistergrogu, parlez-nous de vos origines et de votre parcours entre le Cap-Vert et le Sénégal ?
Je suis né et j’ai grandi au Sénégal, de parents capverdiens qui ont immigré à la recherche d’un avenir meilleur. On pourrait donc dire que je suis Sénégalais d’origine capverdienne. A la maison, la culture du Cap-Vert prédominait, ce qui m’a permis de grandir avec une double identité culturelle : capverdienne dans l’intimité familiale, sénégalaise dès que je franchissais le seuil de la porte. Nos parents ont toujours tenu à nous transmettre notre héritage capverdien, notamment, en nous emmenant régulièrement en vacances au Cap-Vert. C’est pourquoi je reste profondément attaché à mes racines, tout en étant reconnaissant envers le pays de la Teranga qui m’a accueilli et tant apporté. Quant à mon pseudonyme, MISTERGROGU, il signifie « Monsieur Grogu ». Le « grogu » est le rhum traditionnel du Cap-Vert. Je laisse à nos lecteurs le soin de donner la définition qu’ils veulent du personnage ! (rires).
Comment décririez-vous votre style musical et en quoi vos racines capverdiennes et sénégalaises l’influencent-elles ?
Mon parcours musical est éclectique. Dans ma jeunesse, j’écoutais aussi bien Michael Jackson que du rap français et du rock, sans oublier les rythmes traditionnels capverdiens comme le funana, la coladeira, la morna, ainsi que le kuduro angolais. J’ai commencé par faire de la musique urbaine, principalement du hip-hop. Puis, au fil du temps et de ma quête artistique, j’ai exploré d’autres genres comme l’afro, la kizomba et l’électro. Cette phase d’expérimentation m’a conduit à créer un style unique, fusionnant mes racines capverdiennes avec mon héritage sénégalais, tout en intégrant des influences du monde entier. Le Sénégal a fortement marqué ma rythmique et mon flow, tandis que le Cap-Vert a façonné mon approche de la mélodie et de l’écriture.
Quid de votre rencontre avec votre mentor MARIO et de l’impact qu’il a eu sur votre carrière ?
Ma rencontre avec Mario a été un tournant décisif dans ma vie. Plus qu’un simple mentor musical, il est devenu le grand frère que je n’ai jamais eu. Mario m’a tout appris dans le domaine de la musique : composition, arrangements, enregistrements, et même écriture. Je suis convaincu que sans lui sur mon chemin, j’aurais probablement abandonné la musique depuis longtemps. Son soutien moral a été inestimable, et il reste quelqu’un que j’admire profondément et pour qui j’ai un immense respect. Une anecdote renforce notre lien : nos pères jouaient au football ensemble et fréquentaient les mêmes soirées à l’époque. Cette découverte tardive n’a fait que resserrer nos liens.
Aujourd’hui, Mario est devenu mon « cumpadré », comme on dit chez nous, et je suis le parrain de son deuxième enfant. L’impact positif de Mario sur ma carrière et ma vie quotidienne est indéniable et continue de se faire sentir. Si je suis là aujourd’hui, à accorder cette interview, c’est en grande partie grâce à lui.
En 2019, vous avez décidé de revenir à vos racines. Qu’est-ce qui a motivé ce changement et comment cela a-t-il affecté votre musique ?
J’étais arrivé à un point de ma vie où je saturais. Les choses stagnaient et je commençais à devenir quelqu’un que je n’aimais pas. C’est alors que j’ai décidé de partir au Cap-Vert. Ce voyage m’a permis de revoir ma famille, de redécouvrir le pays, et surtout de me reconnecter avec mes racines. Cette expérience m’a fait un bien immense et m’a aidé à me retrouver. A mon retour, une conversation avec Mario a été révélatrice. Nous avons réalisé qu’il manquait une relève dans la musique capverdienne. Il m’a donc conseillé de me positionner et de créer principalement en créole.
Après mûre réflexion, j’ai suivi son conseil. Nous avons alors lancé mon premier projet musical. En parallèle, j’ai monté un spectacle live avec un ami guitariste de longue date, Steday Key, et son groupe, l’Ice Crew. C’est grâce à ce projet que j’ai commencé à me faire connaître et à me produire sur scène. Revenir à mes origines a été la meilleure décision que j’aie prise. Comme le dit si bien le dicton : « Quand tu ne sais pas où tu vas, retourne d’où tu viens ». Ce retour aux sources m’a ouvert de nouvelles perspectives et a relancé ma carrière musicale.
Votre premier EP s’intitule « CATIOUPA GANG FEIJOADA SQUAD VOL 1 ». Parlez-nous du projet et de ce que représente ce titre
Ce projet était mon premier en solo, et comme je l’ai mentionné précédemment, il est né après ma reconnexion avec mes racines. Je me suis lancé dans une création entièrement en créole, ce qui représentait un tout nouveau défi pour moi. C’est ainsi que Mistergrogu a vu le jour. J’ai réalisé ce projet dans ma chambre, m’occupant de l’enregistrement, de la composition et des arrangements. Pour certaines productions, j’ai collaboré avec Passabeatz, Tevmaster, Nicksilver et K-Guitz.
Mario s’est chargé du mixage et du mastering. Dans cet album, j’ai abordé des thèmes variés tels que le jugement d’autrui, l’infidélité, l’amour, la sexualité et l’egotrip. Étant donné la diversité des styles, je l’ai intitulé « CATIOUPA GANG FEIJOADA SQUAD VOL 1 ».
Le catioupa et le feijoada sont des plats traditionnels capverdiens. Ce titre est un clin d’œil à ma culture d’origine, mais aussi une touche d’humour, car ce n’est pas courant de nommer un album d’après des plats ! Cela suscite la curiosité. C’est d’ailleurs dans le même esprit que j’ai choisi mon nom d’artiste. D’ailleurs le VOL 2 est sorti en novembre 2023. Je vous invite vivement à l’écouter sur les plateformes de streaming.
Artiste polyvalent. Comment alliez-vous vos différents talents (musique, photographie, réalisation vidéo) dans votre carrière artistique ?
Je dirais que lorsqu’il y a de l’argent, rien n’est vraiment compliqué (dit-il avec humour NDRL). Mais en réalité, mes différents talents vont de pair et aucun ne prend le pas sur l’autre. C’est simplement qu’à certains moments, un talent peut avoir la priorité sur un autre en fonction de la demande. La réalisation vidéo et la photographie m’aident à visualiser une chanson lorsque je l’écris. En retour, la musique me permet de composer et de véhiculer l’émotion que je souhaite transmettre à travers une image.
Pour avoir participé à de nombreux concerts et festivals. Quelle a été votre expérience la plus mémorable sur scène jusqu’à présent ?
J’ai deux expériences marquantes à partager : La première s’est déroulée à l’hôpital, où j’ai joué pour des enfants atteints de cancer. Voir leurs sourires et les regarder danser m’a rappelé pourquoi j’ai choisi cette voie. Cela m’a surtout fait prendre conscience qu’il faut toujours être reconnaissant envers le Tout-Puissant pour ce que l’on a dans la vie. La seconde a eu lieu en Guinée Conakry (les champions du monde du public, rires). J’y étais pour le concert de DJANII ALFA en janvier 2022, sur l’esplanade du stade. Il y avait 80 000 personnes : l’ambiance était à son comble, la chaleur indescriptible, la scène vibrait.
Du haut de la scène, je voyais des gens se faire évacuer, comme dans les concerts de Michael Jackson à l’époque. Ça a été ma plus belle expérience, et j’en ai tiré une leçon importante : la musique est un langage universel. Quand elle est bien faite, elle parle à tout le monde. Si je devais ajouter quelque chose, c’est que nous, artistes, avons une arme redoutable entre les mains. Nous devons apprendre à la maîtriser et à bien l’utiliser. Ce n’est pas un jeu.
Vous avez également eu une carrière prometteuse dans le basket. Comment avez-vous finalement choisi entre le sport et la musique ?
Mon parcours artistique a débuté par la musique, avec des leçons de guitare dispensées par mon cousin. Cependant, son départ en voyage a marqué un tournant dans mes activités. Ne trouvant pas le courage d’exprimer à mes parents mon désir de poursuivre une carrière musicale, par crainte de leur réaction, je me suis alors tourné vers le basket-ball. J’ai évolué au sein de la Jeanne d’Arc de Dakar, des catégories Minimes jusqu’aux Seniors. Plus tard, j’ai même été présélectionné pour l’équipe nationale du Cap-Vert.
À mon retour, j’ai envisagé de partir aux États-Unis pour suivre un cursus sport-études, mais face à la désapprobation de mon père, j’ai abandonné ce projet. C’est à ce moment-là que je suis revenu à la musique. Avec le recul, il semblerait que c’était ma véritable vocation depuis le début.
Pouvez-vous nous parler de votre participation au collectif Forza Caboverde et du morceau créé pour l’équipe du Cap-Vert lors de la CAN 2022 ?
L’idée est venue d’Erwan Delgado, un ami et membre de notre collectif artistique. Il m’a contacté pour me présenter le concept, et j’ai immédiatement réagi en appelant Mario. Nous avons rapidement réservé un studio d’enregistrement. En l’espace de trois jours seulement, nous avons réussi à réunir tous les artistes nécessaires, à enregistrer la musique et à tourner le clip vidéo. La suite, comme on dit, appartient désormais à l’histoire.
Quels sont vos projets futurs et comment voyez-vous l’évolution de votre carrière artistique dans les années à venir ?
Sur le plan musical, je suis impliqué dans plusieurs projets. En solo, je continue d’enregistrer, mais j’attends le bon moment pour commencer à dévoiler mon travail. Côté audiovisuel, je me concentre actuellement sur deux projets principaux : l’écriture d’un film documentaire sur la communauté capverdienne au Sénégal et la préparation d’un voyage au Cap-Vert pour de futurs projets potentiels. Je préfère ne pas en dire plus pour le moment, histoire d’éviter le « Thiat » (mauvais œil) comme on dit chez nous (rires).
ANNA THIAW