La région du Sahel dénombrait en 2022 plus de décès dus au terrorisme que l’Asie du Sud et la zone (MENA) Moyen-Orient – Afrique du Nord réunis, selon le dernier Global Terrorism Index. La région traverse une crise sécuritaire, humanitaire mais aussi politique. Les soldats français stationnés au Niger ont commencé à quitter ce pays fondateur du G5 Sahel. Que reste-t-il de l’ambition de cette coalition antiterroriste ?
Niagalé Bagayoko : Le G5 Sahel avait une ambition plus large et ne portait pas uniquement sur les questions de sécurité, mais avait également un agenda en matière de développement. Il s’avère que d’un point de vue opérationnel, lorsque cette force conjointe a été mise sur pied, cette organisation s’est heurtée à de nombreuses difficultés, non seulement sur le terrain, mais également d’un point de vue décisionnel. Ce sont ces difficultés qui ont abouti au retrait du Mali de l’organisation. Ce qui l’a handicapé et en réalité, a conduit plus ou moins à une certaine léthargie de sa part.
Aujourd’hui, les États centraux du Sahel ont décidé de mettre sur pied un cadre d’intervention alternatif et ont signé entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger une nouvelle charte qui s’appelle l’Alliance des États pour le Sahel qui apparaît très clairement comme une alternative au projet du G5 Sahel. Si je puis me permettre, il est important de souligner que les états que je viens de citer, qui étaient à l’époque gouvernés par des gouvernements civils, avaient dès 2013-2014, envisagé une alliance dans le cadre de cette région du type Liptako Gourma qui aurait été rattachée à l’autorité qui porte le même nom.
Vous avez évoqué l’AES, l’Alliance des États du Sahel actée le 16 septembre par le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Cette alliance peut-elle répondre aux aspirations de sécurité et de stabilité des populations ?
Niagalé Bagayoko : La difficulté est que l’on constate que depuis onze ans maintenant, depuis 2012, tous les efforts qui ont été déployés à la fois par les États sahéliens mais également par leurs partenaires internationaux ne se traduisent pas par une amélioration de la sécurité, notamment des populations civiles. Au contraire, on voit que les chiffres pour l’année 2023, notamment si l’on se réfère à l’index qui est mis en place par l’ONG à ACLED, démontrent une détérioration, une dégradation de plus en plus continue. Donc, cette alliance risque de se heurter aux mêmes difficultés que l’ensemble des autres cadres qui ont été mis à l’épreuve par le type d’insécurité multidimensionnelle qui touche la zone sahélienne.
L’africanisation de la lutte anti-terroriste au Sahel permettra-elle au moins de dissiper les craintes d’inféodation que des opinions publiques ont pu exprimer par le passé ?
Niagalé Bagayoko : De ce point de vue-là, certainement. Il est intéressant d’ailleurs de noter qu’il existe une autre force totalement américanisée qui est la force multinationale mixte qui intervient du côté du bassin du lac Tchad et qui se heurte à de moindres critiques que l’ensemble des dispositifs qui avaient été mis en place avec le soutien massif de partenaires internationaux. Ce qui caractérise aussi l’AES, c’est qu’elle assume, à travers certains de ses articles, de se concentrer non pas uniquement sur la lutte antiterroriste, mais également de vouloir lutter contre les groupes politico-militaires qui contestent l’autorité des États signataires. C’est une nouveauté qui suscite un certain nombre d’interrogations pour le futur.
Les premiers convois terrestres de troupes françaises basées au Niger se sont élancés vers le Tchad voisin, un autre membre du G5 Sahel, avant un retour en France. Mais là-bas aussi, des voix se sont élevées ces dernières semaines pour demander le départ des troupes françaises stationnées sur place. Risquons-nous d’assister à une réaction en chaîne ?
La question du Tchad est absolument centrale à plusieurs égards. D’abord parce que le Tchad est à l’origine le point de stationnement le plus ancien des forces françaises dans la région. Il ne faut pas oublier que c’est le dispositif Épervier, qui datait de plusieurs décennies, qui avait été absorbé par l’opération Barkhane, mais qui demeurait dans la mesure où le commandement de celle-ci est resté basé à N’Djamena. La France est particulièrement attachée au Tchad, où elle a une grande tradition et de présence et d’intervention, et cela s’est manifesté notamment par le soutien inconditionnel qu’elle a apporté au Comité militaire de transition qui a été mis en place de manière inconstitutionnelle, avec à sa tête le fils du président Déby décédé, nommé dans le cadre d’une tradition d’une transition dynastique.