Multi-entrepreneur, Jean François Vassas est diplômé en management des ressources humaines et des relations sociales. Président du Groupe Evolv basé au Luxembourg et présent à Dakar, l’entreprise spécialisée dans la gestion des carrières et des ressources humaines et l’accompagnement managérial, souhaite désormais se développer en Afrique et particulièrement au Sénégal. Dans cet entretien exclusif accordé à Rewmi Quotidien, Jean Vassas, spécialiste des ressources humaines conseille aux entreprises africaines de mieux mesurer l’impact de leur politique managériale…
Quel est l’impact et l’efficacité des ressources humaines (RH) dans l’entreprise ?
Les Ressources humaines (RH) deviennent progressivement un domaine spécialisé, qui couvre plusieurs métiers comme le recrutement, la recherche et l’acquisition de talents, le salaire et les indemnités, l’apprentissage et le perfectionnement, la diversité et l’intégration. La spécialisation trouve sa pertinence dans l’art de détecter, d’embaucher et de gérer «l’oiseau rare», le métier de RH est indispensable pour toute entreprise. Il est placé au cœur de l’organigramme technique et budgétaire de l’entreprise. Être expert RH signifie être en proximité avec les gens. Faire du réseautage et des rencontres est évidemment au cœur de votre travail. Dans une entreprise, il y a deux composantes qui créent de la richesse, la première étant ce qu’elle produit. Concernant la deuxième, l’entreprise va créer de la valeur ajoutée, avec la clé, la personne qui va faire le travail. Les personnes qui composent cette entreprise s’appellent les ressources humaines et il y a un directeur des ressources humaines (DRH). Avant, on ne faisait pas tellement attention aux ressources humaines parce qu’on était à une époque où il n’y avait pas un problème de formation et de chômage. On trouvait des gens qui travaillaient bien. Aujourd’hui on est en 2020, ce n’est plus le cas. On doit former les collaborateurs, quelle que soit l’entreprise.
La plupart des entreprises au Sénégal ne s’occupent guère de la formation continue du personnel. Qu’en pensez-vous ?
Un employeur est dans l’obligation de former ses salariés. Il ne peut donc pas laisser un salarié sans formation au-delà d’une certaine durée … Vous ne pouvez pas laisser pendant plusieurs années un salarié sans formation, même s’il ne demande pas à suivre de formation ou qu’il n’a pas été confronté à une difficulté d’adaptation à son poste de travail. Mais comme le chômage est un véritable problème au Sénégal, les entreprises n’ont pas de difficultés pour recruter. Au Sénégal, on recrute des DRH pour de grands groupes. Par rapport aux autres pays d’Afrique et même d’Europe, je pense que le Sénégal a un niveau de ressources humaines qui est sans doute parmi les meilleures au monde et largement au niveau des DRH.
Vous êtes membres du Meds. Pourquoi ce choix ?
Je suis membre du Meds depuis longtemps parce que c’est une organisation patronale qui défend très bien les PME dont je fais partie. J’ai été nommé, il n y a pas longtemps, à la présidence de la Commission des ressources humaines. Je pense qu’il y a beaucoup à faire dans les instances de dialogue entre l’Etat et le secteur privé. Car, les organisations patronales sont des acteurs incontournables de l’économie nationale pour un gouvernement, c’est un point d’appui indispensable pour que l’économie redémarre. Une organisation comme le Meds sait ce dont les entreprises ont besoin.
Les multinationales raflent presque tous les marchés de l’Etat. Est-ce à dire que le secteur privé national n’est pas compétitif ?
Est-ce qu’il y a une société sénégalaise capable de construire un aéroport ? Non ! Est-ce qu’il y a une société sénégalaise capable d’implanter de la fibre optique, des antennes et de créer un réseau satellitaire ? Encore non ! La question n’est pas de savoir si c’est une entreprise étrangère ou pas. Aujourd’hui, est-ce qu’il n’est pas mieux qu’une société s’installe au Sénégal et créé 2000 emplois plutôt qu’absolument vouloir prendre une société sénégalaise dont les dirigeants ont des immeubles à Paris. L’intérêt supérieur de la nation, c’est qu’il y ait moins de chômage, que les gens mangent à leur faim, se soignent et soient instruits. On vit dans un pays où il y a une liberté d’opinion. Voilà l’objectif d’un Etat. Ce n’est pas forcément qu’il y ait des champions nationaux. Il en existe. Ces nationaux, est ce qu’on les aide suffisamment ? Il ne faut pas vouloir absolument prendre une entreprise sénégalaise, de la CEDEAO ou africaine, si on sait que le travail sera mal fait. Non, il faut juste prendre la meilleure qu’elle soit française, sénégalaise, malienne. Il faut tout simplement que le cahier de charges soit précis. Par exemple, dans un appel d’offres, on peut exiger d’une entreprise que 95 % de son personnel soit des sénégalais. Moi je préfère ça que de voir une société sénégalaise qui ne va embaucher que des guinéens. Cela ne produit pas de richesse.
Peut-on parler d’un secteur privé fort au Sénégal ?
Non ! Il n’y a pas un secteur privé fort au Sénégal contrairement en Europe où les grandes entreprises ont 400 voire 500 ans d’existence. Il y a le poids de l’histoire, et il y a aussi l’éducation. Dans l’ADN des Sénégalais, il y a la volonté de créer des entreprises. On ne peut pas donner à tout le monde les sous pour créer leurs boîtes uniquement pour qu’ils se taisent ou qu’ils n’aillent pas manifester. Non, tout le monde n’est pas capable de créer sa boîte. Aujourd’hui, il y a un environnement plutôt favorable pour les affaires, notamment avec la DER et les autres institutions. Être entrepreneur, n’est pas seulement avoir des idées, mais il y a de la technique derrière. Au niveau des institutions supérieures, on est encore dans la formation théorique et on ne forme pas assez. Je suis persuadé que le prochain Bill Gates sera Sénégalais, mais il faut choisir le secteur où trouver un champion international. Cela doit être forcément dans les nouvelles technologies. Aussi, il faut être patient et s’y préparer. Mais l’Etat doit appuyer le secteur privé car, aujourd’hui il n’y pas une entreprise dans le monde, sauf Apple, Google, entre autres, qui existe sans la commande de l’Etat. La commande publique est le premier client des grosses entreprises. Il n’y a pas une entreprise d’une certaine importance qui existerait sans l’Etat. Il n’y a pas une entreprise du bâtiment sans la commande publique. Le secteur privé existe grâce à la commande publique. C’est partout pareil.
Qu’est-ce qui vous a poussé à investir au Sénégal ?
C’est parce qu’il y a la stabilité, l’ambiance générale, le climat des affaires, l’aspect confiance et sécuritaire. C’est extrêmement important pour un Européen, un Luxembourgeois. Le Sénégal a une petite fenêtre de tir pour vraiment prendre le leadership en Afrique de l’Ouest. Le pays, malgré tout, a besoin d’un coup de pouce. Le Sénégal tire son épingle du jeu. Mais attention ! Le Sénégal risque de retomber dans la moyenne et d’être dépassée par d’autres pays de la Zone franc. Il y a des pays qui poussent derrière et qui essaient d’attirer les investisseurs.
Je suis venu à Dakar avec un esprit sénégalais. Chaque franc qu’on gagne, que le Groupe gagne, on le réinvestit dans les sociétés agroalimentaires et dans des écoles. Il faut avoir cet état d’esprit. Il ne faut pas acheter des immeubles à Paris ou des grosses voitures. Pour moi, l’exemple doit être Sadio Mané, il gagne un Euro, il creuse un puits, construit une école et un hôpital dans son village. Aujourd’hui, je constate qu’il y a une volonté de la Diaspora de rentrer au pays. Il y a des gens qui veulent venir avec une perspective et un avenir. C’est notre boulot de faire le Link avec les sénégalais qui sont à l’extérieur et bien formés.
Quels sont les secteurs porteurs d’emplois pour lutter contre le chômage ?
Il y a des secteurs traditionnellement pourvoyeurs d’emploi. C’est le transport, le bâtiment et les services. Aujourd’hui un métier manuel, quelqu’un peut le faire en deux minutes alors que pour les métiers de prestations intellectuelles dont l’informatique, le codage en informatique, cela nécessite beaucoup d’apprentissage avant de pourvoir commencer à travailler. C’est là où l’éducation et la formation des jeunes diplômés sont extrêmement importantes. Le plus grand secteur pourvoyeur d’emploi demeure les nouvelles technologies et les secteurs traditionnels. Il faut de l’efficacité à effet immédiate. Je veux quelqu’un qui est capable de me faire un plan marketing parce que j’ai un produit à lancer. Aujourd’hui, les entreprises se basent encore sur un document factuel mais on demandait comme prérequis un niveau de diplôme.
Comment recrutez-vous ?
Nous, quand on recrute, le CV est juste un élément indicateur. Ce n’est pas suffisant. N’importe quelle entreprise préfère un expérimenté qu’un diplômé. Très souvent, ils vont des deux. Les entreprises ne voient pas forcement la valeur ajoutée d’un spécialiste du domaine. Un mauvais recrutement coûte beaucoup d’argent. Aujourd’hui la notion de prestation de service, c’est un métier et les entreprises au Sénégal n’ont pas l’habitude de payer pour un plus.
Zachari BADJI et M BA