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Idrissa Diop: « Ce que j’ai fait pour Youssou Ndur »

5 décennies, 50 ans de musique, celui qui est sans conteste l’un des pionniers dans son domaine, préserve sa brûlante passion musicale, qu’il continue de communiquer à travers ses œuvres et des spectacles de haute facture. Interview vérité avec Idrissa Diop. Sans détours et sans langue bois !

 

POURQUOI AVOIR QUITTÉ LE SENEGAL ?

Dans les années 70, j’avais fait tous les clubs, tous les endroits où on jouait à l’époque. Nous avions vraiment tout mis en place, tous révolutionnés dans cette année-là. Et l’idée m’est venue avec une amie de me rendre en France pour justement voir d’autres couleurs parce qu’on me disait que là-bas à l’époque il y avait les  Touré Kunda , les Manu Dibango. Et du coup il y avait un appel d’air pour aller voir ce que je pourrais faire avec ces musiciens-là. Ce qu’il faut savoir c’est qu’à Paris, c’est très cosmopolite, il y a beaucoup de musiciens venant du Mali, de la Guinée, du Sénégal, entre autres.  Et Paris c’est une plateforme très importante pour ceux qui veulent comprendre les musiques en général, d’ailleurs c’est la raison pour laquelle je suis parti du Sénégal en ce temps-là. Je n’ai pas regretté, a vrai dire j’y ai rencontré de très grands musiciens, j’en ai collaboré avec pas mal et ça m’a permis de porter ce drapeau que j’ai porté. C’est-à-dire le vert, jaune, le rouge et l’étoile verte au milieu.

VOUS ETES RENTRÉ APRES 35 ANS D’ABSENCE. IL Y A TOUTE UNE GENERATION QUI NE VOUS CONNAIT PAS. EXPLIQUEZ-NOUS VOTRE PARCOURS

Il est vrai que je suis rentré 35 ans après ; je suis resté en France, aux USA et un petit peu dans le monde. J’ai rencontré des musiciens que je rêvais de rencontrer, j’ai fait des scènes avec eux. J’ai fait beaucoup de choses et après 35 ans, j’ai décidé de revenir au Sénégal. Il faut savoir que quand je partais ce n’était pas la même époque, j’avais laissé une jeunesse ici. D’ailleurs à mon retour, j’ai sorti un album « Nobel » que les Sénégalais ont unanimement apprécié. Et ces 35 ans là m’ont permis de me connecter avec la jeune génération. Il y en a parmi eux qui m’interpellent  comme par exemple : Ngaaka Blindé, Wally Seck, Pape Diouf entre autres. Pour les jeunes, je suis le vieux qui décode leurs langages, parce que quand tu veux savoir si les jeunes aiment ta musique, il faut leur langage, essayer de te connecter dans leur monde à eux. J’ai été jeune comme eux et je suis fier de cette jeunesse sénégalaise. Pour ce qui est de mon parcours, je dirais que c’est un parcours normal, intéressant et la jeunesse du Sénégal, les musiciens en général ont un vrai talent. Il faut maintenant leur montrer le chemin des 3P. Pour durer dans la musique,  il faut de la patience, de la passion, et surtout de la pureté. Ces 35 ans ne m’ont pas changé. Jamais je n’ai oublié ce drapeau vert, jaune, rouge. Je n’ai jamais oublié là d’où je viens.

VOUS AVEZ SORTI UN NOUVEAU SINGLE « GOLO BAY ». DE QUOI S’AGIT-IL?

C’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Je me suis rendu compte ici au Sénégal, même les vendeurs à la sauvette sont exploités par d’autres gens. Les maçons, les menuisiers, les musiciens, tous les gens sont exploités par rapport à beaucoup de choses. Et aujourd’hui « Golo Bay », c’est l’exploitation de l’homme par l’homme.  C’est un cri de cœur. Je constate que les gens qui sont en haut ne pensent pas aux gens qui sont en bas. Et ça c’est un déséquilibre énorme pour notre pays qu’on appelle « pays de la Téranga ». Il faut que l’équilibre se fasse ! Aujourd’hui, dans le corps où je suis, les musiciens souffrent énormément. Et je lance un cri de cœur au nom de tous les acteurs et actrices culturels de ce pays. Il y a quelque chose qui ne va pas. Comment l’homme peut exploiter son semblable? Dieu a fait en sorte que nous soyons les meilleurs de sa création : « Yalla nit leu geuneu beug thi lep loumou sak ». Pourquoi l’homme exploite-t- il l’homme ? C’est la question que je me pose dans « Golo Bay ». Les artistes sont là en train de se battre pour une culture. Alors que moi, à l’époque,  je protégeais Youssou Ndour qui avait  juste 14 ans et Mbaye Dièye faye était sous mon aile. Ils étaient tout le temps chez moi. Et aujourd’hui ce dont j’ai envie, que Youssou Ndour fasse en sorte que l’art ou la culture ne souffre pas, car Dieu lui a tout donné, le Sénégal lui a tout donné, les Sénégalais lui ont tout donné.

« Ce que j’ai fait pour Youssou Ndour »

Aujourd’hui il est temps qu’il (Youssou Ndour) se retourne un tout petit peu la tête et dire simplement : « je rends aux artistes sénégalais ce qu’ils m’ont donné. » Parce que moi, à l’époque, quand je l’aidais, je n’attendais rien de lui. Ses premières chansons, je les ai écrites et je les lui ai offertes gratuitement. C’est cet esprit que j’aimerai que Youssou Ndour ait envers les artistes qui souffrent. Encore une fois il faudrait que ceux qui sont en haut pensent à ceux qui sont en bas, car les gens du bas sont plus nombreux. Avec « Gola Bay », je veux qu’il n’y ait plus d’exploitation, plus de gens qui souffrent. Pendant ce temps-là, les autres sont dans leurs fauteuils moelleux où dans leurs appartements, leurs belles maisons. Les artistes souffrent beaucoup au Sénégal et ils me demandent simplement de leur donner ce message-là à tous les gens qui veulent l’entendre. A bon entendeur, salut !

 PARLEZ-NOUS DU STYLE MUSICAL  DANS GOLO BAY?

Le style c’est de l’afro, le style que j’avais laissé ici dans les années 67, un Mbalakh très épuré, sans trop de bruit. Aujourd’hui, ce qu’on appelle la musique sénégalaise n’existe pas. Il n’y a pas une musique sénégalaise mais des musiques sénégalaises. Quand je quittais le Sénégal, nous avions à l’esprit de jouer une musique sénégalaise avec des consonances de la Casamance, du Toucouleur, du Boundou, de Tambacounda ou de Kédougou et des rythmes comme pour les sérères. Aujourd’hui, il est temps qu’on dise la vérité aux Sénégalais. Nous sommes en train d’assister à un sabar musical. A chaque fois qu’on voit un groupe on aurait dit 10 au lieu de d’un, quand il y a un chanteur qui chante on dirait 20. Ils chantent tous de la même façon et c’est très dangereux pour une musique (il insiste). Cela fait 45 ans que je leur dit, il y a des musiques sénégalaises et non une musique sénégalaise. Qu’on arrête de nous dire que le sabar c’est de la musique. Moi je fais de l’Afro en pensant à mon pays, Dakar ce n’est pas le Sénégal, le Sénégal c’est 14 régions et chacun a sa spécificité rythmique, sa spécificité polyrythmique, et il faut respecter ces gens-là. Ma musique est une sorte de multicolore-feeling, une musique cosmopolite.

 

« Il n’y a pas une musique sénégalaise mais des musiques sénégalaises »

 

VOTRE DERNIER ALBUM « NOBEL » A FAIT UN TABAC COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CE SUCCES ?

 Après la sortie de « Nobel », des millions de Sénégalais en ont fait leur hymne à l’amour, leur hymne au mariage. On m’annonce qu’il y a plus de 1555 mariages qui ont été célébré par cette chanson. Quand je faisais ce morceau, c’était un défi, parce que les gens me disaient qu’une chanson avec des chorales et des violons, ça ne marchera jamais. Je l’ai écrit pour simplement rendre hommage à la maman de mes 4 enfants qui est ici au Sénégal. Je lui dis tout simplement merci et lui dire chapeau parce que moi je n’ai pas été là pendant de longues années et elle s’est occupée de mes enfants. Cette chanson, je l’ai écrite que pour elle (dit-il, tout ému). Quand on voit mes enfants aujourd’hui, je me dis : « mais quelle maman, c’est extraordinaire ! »  Nobel c’est comme Adam et Eve, c’est des jumeaux, c’est même pas ma femme, c’est ma jumelle. Les Sénégalais se sont approprié ce titre. A vrai dire, je n’étais pas surpris parce que c’était un défi que j’ai relevé.Je suis fier de ce que le peuple sénégalais m’a donné comme réponse avec cette chanson.

D’AUCUNS SE DEMANDENT POURQUOI VOUS FAITES RAREMENT DES SPECTACLES?

Je fais rarement de spectacles parce que je ne veux pas rentrer dans des trucs de bruit. Quand je fais de la musique,  je fais une musique de qualité ou je ne fais rien (dit-il fermement). C’est comme quand je prépare des spectacles, je préfère à la limite préparer des grands spectacles plutôt que de jouer tout le temps. Qui dit mode dit démoder. Tu ne peux pas jouer dans un club tous les jours. Certes je l’ai fait pendant x annéed de ma vie. Je joue parfois dans des petits clubs pour me faire plaisir, mais j’invite les Sénégalais à être patients un tout petit peu. Je vais commencer à faire de grands spectacles avec sons et lumières. Du vrai grand spectacle avec de la qualité et non de la quantité. C’est très important pour moi. Je fête bientôt mes 51 de carrière. Ça va être une très grande fête et ce sera l’occasion de montrer sons et lumières en grand spectacle pour non sénégalais et non sénégalaise, pour le peuple sénégalais.

 DITES-NOUS  CE QUE VOUS PENSEZ DE LA MUSIQUE SENEGALAISE AVEC LA JEUNE GENERATION.

Moi j’ai beaucoup d’amis de la jeune génération qui viennent me voir. Mais je leur conseille d’être patients. Les 3P (la passion, la patience, la pureté) pour moi c’est très important. Il ne faut pas être pressé d’être vu à la télévision, ni d’être pressé d’être vu dans un journal, ou d’être pressé pour être écouté dans une radio. Quand on écrit, quand on est dans la musique, on est dans la musique pour la postérité. J’ai rencontré de très grands musiciens dans ma vie. Ce qui se ressemble s’assemble, tous les excellents musiciens ont la même sérénité, la même spiritualité. Les jeunes aujourd’hui doivent tout ramener à la spiritualité car il n’y a qu’elle qui est vraie. Qu’ils fassent de la musique, qu’ils soient patients, qu’ils soient en harmonie avec ce qu’ils font, qu’ils réfléchissent beaucoup à leurs textes.

 VOUS AVEZ UN STYLE PANTALON PATTES D’EPH ET CASQUETTE VISSÉE SUR LA TETE?

C’est depuis ma tendre enfance. J’ai toujours porté des chapeaux et devenu une habitude. Et comme l’habitude est une seconde nature,  je ne change pas cette nature. Je vais vous confier un secret : tous les grands hommes ont quelque chose sur leur tête. Il n’y a rien qui est caché, c’est tout simplement mon style.

 VOS PROJETS AU SENEGAL?

J’ai ouvert un grand studio d’enregistrement pour la jeunesse du Sénégal et j’ai envie d’aider les jeunes par rapport à mon expérience. Le studio s’appelle « Ngor Island Studio ». Les gens viennent ici, il n’y a pas de bruit de voitures, il n’y a que la musique et la mer. Je l’ai ouvert pour tendre la main à la jeunesse sénégalaise.

 


ANNA THIAW

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