La triste nouvelle est terrible, Madjiguène Cissé est décédée ce lundi 15 mai. La stupeur d’une telle perte est grande dans la longue marche des Sans Papiers pour les papiers pour tous.
Madjiguène a symbolisé la détermination et le courage des « Saint-Bernard » à la suite des 314 familles des « Saint-Ambroise » qui, le 18 mars 1996, à peine les derniers soubresauts du formidable mouvement gréviste de Novembre-Décembre 195 éteints, reprirent le relais en ancrant dans le paysage des luttes sociales, démocratiques, anti-racistes et antifascistes, celle des damnés de la terre et du monde du travail que sont les « clandestins » selon l’expression négativement connotée des médias patronaux et gouvernementaux français.
Madjiguène, que l’on appelait affectueusement Maj, fait partie des premiers à avoir propagé l’auto-appellation humanisée et connotée positivement de « Sans Papiers ». Le 23 août 1996, jour du fameux coup de hache et du gazage dans l’Église où étaient accueillis les grévistes et les familles des Sans Papiers, Maj fut d’une bravoure exemplaire qui força l’admiration de tous, Sans Papiers, soutiens ayant formé un bouclier devant les CRS déchaînés.
A chaque tournant de la ballade des Saint Ambroise devenus Saint Bernard, Maj remobilisait les femmes aussitôt suivis des hommes et des familles pour faire rebondir la lutte en lui donnant un nouveau souffle. Voilà pourquoi les vieux sages des Saint Ambroise/Saint Bernard disait de Maj : » Voilà une femme a qui sied le pantalon en plus du pagne ».
Maj fut la Saint Bernard qui répondit à l’appel de Lille en organisant la visite solidaire et militante aux grévistes de la faim des parents d’enfants français. C’est là où fut lancé l’appel à la fondation de la Coordination Nationale des Sans Papiers (CNSP) qui vit le jour en juillet 1996 à la Bourse du Travail de République à Paris sur la base d’une plateforme revendicative centrée sur la Régularisation globale de tous les Sans Papiers.
Parlant couramment allemand, elle fut la voix des Sans Papiers auprès des démocrates et internationalistes dans la langue de Goethe. Cette silhouette frêle de la « Noire de » sillonna la France entière et plusieurs pays d’Europe pour porter le message du combat des hommes, des femmes et des familles condamnés par le racisme d’État français à alimenter comme main d’œuvre taillable et corvéable sans droit l’économie souterraine du travail dissimulé par les patrons fraudeurs du fisc.
Comment ne pas associer à Maj la figure de Romain Binazon, décédé en 2005 et qui représenta les illégaux jamais hors la loi que sont les Sans Papiers en lutte à Matignon lors de la célébration des 100 ans de la loi de 1901? Comment ne pas se rappeler la complicité et la fraternité militante qui vous liaient à Léon Schwartzenberg, Albert Jacquard, Mgr Gaillot que nous nommions « les Zola et Jaurès de l’affaire Dreyfus, celle de la cause des Sans papiers, de la fin du Xxéme et début du XXIéme siècle ».
La CNSP a été fier de produire des dirigeants nationaux des luttes sociales, démocratiques et antifascistes comme Madjiguène et Romain. Partis trop prématurément, vous restez dans le cœur et la mémoire de vos compagnons de combat qui ne vous oublierons jamais. Maj, repose en paix, la lutte continue. Toutes nos condoléances à ta famille éplorée et à tous les Sans Papiers qui portent ton deuil.