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Gestion du pétrole sénégalais : transformer l’or noir en prospérité partagée grâce à des réformes stratégiques
Gestion du pétrole sénégalais : transformer l’or noir en prospérité partagée grâce à des réformes stratégiques

Gestion du pétrole sénégalais : transformer l’or noir en prospérité partagée grâce à des réformes stratégiques

L’exploitation récente des gisements pétroliers et gaziers de Grande Tortue Ahmeyim (GTA) et de Sangomar place le Sénégal au seuil d’un potentiel économique transformateur. Pour garantir que ces ressources profitent à des millions de citoyens plutôt qu’elles n’alimentent les inégalités, le pays doit adopter des politiques audacieuses et inclusives. Nous sommes à un tournant où le Sénégal doit prendre des mesures décisives pour garantir que sa richesse pétrolière se traduise par une croissance économique durable, la création d’emplois et le progrès social pour ses citoyens.

Mon but, dans cet article, est de proposer des stratégies concrètes pour orienter la richesse pétrolière vers un développement durable, une répartition équitable et une souveraineté industrielle.

Mobiliser un financement local à travers des banques sénégalaises dédiées

Le Sénégal devrait promouvoir la création de banques de développement orientées vers la production de ressources naturelles, à la fois énergétiques et minières, en s’appuyant sur des montages financiers intéressants ayant pour bassin le continent africain et certains pays du Sud global. Ces institutions, financées par des fonds souverains africains, des investisseurs privés et des organismes régionaux comme la Banque africaine de développement, pourraient proposer des prêts à faible taux d’intérêt pour les infrastructures pétrolières et gazières. Il s’agit de développer une stratégie qui place les institutions financières sénégalaises et africaines au cœur de l’industrie. En privilégiant les capitaux africains plutôt que l’endettement étranger, le Sénégal garderait le contrôle de ses ressources tout en construisant des raffineries, des pipelines et des projets d’énergies renouvelables. Sur la période stratégique de la Vision Sénégal 2050, ces banques devraient être conçues pour offrir des financements à long terme, réduire la dépendance aux prêteurs externes et garantir que la valeur ajoutée des ressources reste sur le continent. En mobilisant le capital africain, le pays peut rompre avec le cycle traditionnel de domination étrangère dans les industries extractives. Le modèle de l’Africa Finance Corporation au Nigeria offre une base, mais avec un accent renforcé sur la valorisation locale et l’emploi des jeunes.

S’inspirer de modèles mondiaux pour une répartition équitable des revenus

Trois approches éprouvées pourraient remodeler la gouvernance des ressources au Sénégal. Premièrement, en s’inspirant de modèles réussis comme ceux de la Norvège et des Émirats Arabes Unis, le fonds souverain, déjà annoncé par les autorités, pourrait disponibiliser des revenus conséquents pour les générations futures. Ce fonds, qui serait l’équivalent de la Caisse de dépôt et de placement du Québec, devrait évoluer au-delà d’une gestion conservatrice d’actifs. En affectant une partie des revenus pétroliers à des projets à haut rendement, comme la modernisation des ports près de Sangomar, des fermes solaires, ou des centres de formation professionnelle aux métiers de l’énergie, le fonds pourrait stimuler une croissance durable dans le pays. Des partenariats public-privé dans l’agro-industrie, utilisant du gaz bon marché pour produire des engrais, ont le potentiel d’augmenter la productivité agricole et la sécurité alimentaire. Il en découle que la diversification des investissements permettrait de créer une richesse à long terme, d’autonomiser les générations présentes et futures, et de protéger l’économie contre la volatilité des prix du pétrole ou du gaz.

Deuxièmement, la gouvernance sénégalaise pourrait également s’inspirer du modèle de transparence radicale du Botswana consistant à publier en temps réel les contrats et les revenus. Par cette approche, elle combattrait les velléités de corruption et renforcerait la confiance du public. Il faut reconnaître que l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) représente une avenue intéressante, en misant sur une gouvernance incluant des observateurs de la société civile. Dans la même veine, une approche de transparence simplifiée, bien communiquée, et utilisant des plateformes modernes de nouvelles technologies renforcerait la crédibilité de la gouvernance des ressources naturelles.

Troisièmement, le programme de dividendes citoyens de l’Alaska ou de l’Alberta, qui distribue les profits pétroliers directement aux ménages, pourrait être adapté pour privilégier les ménages sous le seuil de pauvreté et certaines communautés rurales. Ce dernier modèle pourrait être un bon substitut aux bourses de sécurité familiale, dont l’efficacité est à interroger au Sénégal, notamment en ce qui a trait à la question centrale des bénéficiaires admissibles. En somme, un système hybride de ces modèles équilibrerait l’épargne à long terme et tout en engendrant une réduction de la pauvreté.

Des lois pour stimuler l’industrialisation du pays à travers la transformation locale obligatoire

Le Sénégal devrait adopter des lois exigeant que les entreprises pétrolières comme Woodside (opérateur de Sangomar), BP et KOSMOS ENERGY (partenaires de GTA) installent des unités de transformation locales dans un délai de trois ans après le début de la production, à travers une Loi sur la Transformation locale. L’exportation de brut ou de gaz non transformé devrait entraîner des pénalités lourdes (par exemple, des taxes à l’exportation de 20 %), incitant à des investissements dans les raffineries, les usines d’engrais ou les centrales électriques au gaz. Le succès du Maroc dans la valorisation des exportations de phosphates, en transformant la matière première en produits finis, prouve l’efficacité de ce modèle. Dans le même sillage, des allègements fiscaux pourraient récompenser les entreprises embauchant 70 % de main-d’œuvre locale et transférant des technologies aux ingénieurs sénégalais.

Cette politique garantira qu’une part significative de la chaîne de valeur reste dans le pays, en créant des emplois qualifiés, en favorisant le transfert technologique et en dynamisant les industries locales. Des pays comme la Malaisie et l’Indonésie ont mis en œuvre avec succès des mesures similaires dans les secteurs de l’huile de palme et des mines, démontrant que la valorisation des ressources peut stimuler l’industrialisation et l’autosuffisance économique.

Un modèle de cette nature est différent de la loi sur le contenu local du Sénégal, même si à priori on peut leur prêter des similarités. Il mise plus sur les effets d’entrainement de ressources naturelles transformées dans le pays, ce qui serait un puissant levier de création d’emplois pour une jeunesse en quête d’opportunités. Puisque les nouvelles autorités du pays cherchent des avenues pour renégocier les contrats, le levier législatif, règlementaire et fiscal pourrait beaucoup contribuer à renforcer leur position et inciter les multinationales présentes dans le pays à s’ouvrir à cette invite.

GTA et Sangomar peuvent être catalyseurs d’une collaboration régionale

Le champ transfrontalier de GTA, partagé entre le Sénégal la Mauritanie, offre l’occasion d’harmoniser les politiques publiques dans le domaine de l’énergie. Les deux pays devraient légiférer ensemble sur les lois de la transformation locale et créer un réseau énergétique régional, assurant que le gaz de GTA alimente les industries en Afrique de l’Ouest. Le pétrole de Sangomar devrait financer un fonds national pour la recherche et l’innovation, diversifiant l’économie au-delà de l’extraction. En ce sens, les nouvelles autorités pourraient créer une nouvelle Loi sur la Responsabilité sociale des entreprises (LRSE) qui obligerait les grandes sociétés opératrices à entreprendre des initiatives de développement local, comme des bourses de recherche, l’investissement dans les énergies renouvelables, et le soutien aux efforts du pays dans la réduction des émissions de GES. Comme disait l’économiste Herman Daly, la production de ressources non renouvelables devrait aller de pair avec des investissements dans les ressources renouvelables pour rester dans un équilibre de durabilité.

De l’extraction à l’autonomisation

Le Sénégal a une opportunité historique de transformer sa richesse pétrolière en moteur de développement national, mais le temps presse. Les choix d’aujourd’hui détermineront si les ressources du pays bénéficieront aux générations présentes et futures. La voie vers la prospérité réside dans une planification stratégique, une politique audacieuse et un engagement indéfectible envers les intérêts nationaux. À la lumière de la philosophie de souveraineté affichée par les nouvelles autorités, il est temps pour le Sénégal de prendre le contrôle de son destin et d’établir un précédent en matière de gestion responsable des ressources sur le continent.


Dr. Ibrahima Gassama, Québec
Économiste, PhD.

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