Il aura fallu attendre trente ans pour qu’une femme porte de nouveau le costume de chef de gouvernement en France. Après Edith Cresson, unique femme Première ministre jusqu’ici, c’est donc Elisabeth Borne que le président réélu Emmanuel Macron a choisie. Lors de sa première allocution, sur le perron de l’hôtel Matignon elle a dédié sa nomination « à toutes les petites filles, à qui je dis ‘allez au bout de vos rêves' ».
Lors de la cérémonie de passage de relais sur le perron de l’hôtel Matignon, ce dernier n’a pas hésité à forcer le ton pour accueillir « Madame la Première ministre ».Dès ses premiers mots de cheffe de gouvernement, Elisabeth Borne a prôné le « dialogue », la « cohésion et l’égalité des chances ». C’est au plus près des français que nous trouverons les réponses, a-t-elle ajoutée à propos du chantier climatique, rendant ensuite hommage à Edith Cresson, première femme à ce poste. Se disant émue, elle a souhaité dédier cette nomination « à toutes les petites filles, à qui je dis, ‘allez au bout de vos rêves' ».
Élisabeth Borne, « la techno »
Au gouvernement depuis 2017, Élisabeth Borne est proche d’Emmanuel Macron depuis ses débuts à la présidence de la République en 2017. Avant d’être au ministère du Travail, elle s’est occupée de l’Ecologie et des Transports. Ces trois domaines seront d’ailleurs au cœur du prochain mandat d’Emmanuel Macron, notamment ceux de l’Ecologie et du Travail. Sa connaissance des dossiers en tant que ministre du Travail pourrait être un atout déterminant en vue de la future réforme de la retraite et son âge de départ repoussé à 65 ans.
Elisabeth Borne est née à Paris le 18 avril 1961, d’un père d’origine juive russe, résistant durant la seconde guerre mondiale et d’une mère française. A onze ans, elle perd son père :« Ça n’a pas été toujours simple, j’ai perdu mon père quand j’étais très jeune, et on s’est retrouvées avec ma mère qui avait deux filles », raconte-t-elle dans l’émission Touche pas à mon poste sur D8. Pupille de la nation, elle précise que c’est grâce à une bourse qu’elle a pu faire ses études.
Divorcée, elle a un fils.
Il s’agit d’une « X », c’est ainsi qu’on surnomme les personnes diplômées de l’Ecole polytechnique (promotion 1981). Elle est aussi diplômée de l’Ecole nationale des Ponts et Chaussée (1986). Et c’est comme ingénieure des ponts, des eaux et des forêts, qu’elle débute sa vie professionnelle. Elle dispose également d’une maîtrise en administration des affaires (Collège des ingénieurs). Dès les annéees 80, à peine âgée de 19 ans, elle s’approche des coulisses de la politique, en travaillant dans des cabinets ministériels, à l’Equipement, puis à la direction régionale de l’Équipement d’Ile-de-France.
Première femme préfète
Début des années 1990, elle devient conseillère au ministère de l’Education nationale auprès de Lionel Jospin puis, à partir de 1992, de Jack Lang. Elle reviendra plusieurs fois à des postes stratégiques auprès d’élus ou de ministres de gauche : entre 2008 et 2013, elle travaille auprès de Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo en tant que directrice générale de l’urbanisme à la mairie de Paris, puis quitte la capitale pour devenir préfète de la région Poitou-Charentes et de la Vienne, première femme à occuper ces postes.
Sur son CV, sont mentionnés plusieurs passages dans les directions de groupes privé, publics ou semi-publics. Après un passage chez Sonacotra dans les années 1990, elle sera par exemple directrice de la stratégie de la SNCF au début des années 2000, directrice des concessions au sein du groupe Eiffage, puis, du printemps 2015 à sa nomination au gouvernement, présidente de la RATP.
Elisabeth Borne est Chevalier de la Légion d’Honneur et Officière de l’Ordre national du mérite.
Jusqu’au bout des réformes
Malgré les critiques et les insuffisances pointées par ses opposants, elle peut revendiquer le fait d’avoir mené à leurs termes trois grands projets : la loi énergie-climat, la loi d’orientation des mobilités et la loi sur l’économie circulaire.
Début 2018, comme ministre des Transports, elle conduit une réforme de la SNCF consistant en l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire, la transformation du statut de l’entreprise et l’arrêt du recrutement au statut de ses
agents à partir du 1er janvier 2020, ainsi que la reprise progressive par l’État de 35 milliards d’euros de la dette de l’entreprise publique. Elle doit alors faire face à l’une des plus longues grèves de la SNCF. Si elle parvient à faire voter cette réforme, elle affronte l’hostilité d’une majorité du monde cheminot et au sein de la gauche radicale, qui l’accusent d’affaiblir le secteur ferroviaire. Son appel adressé aux cheminots « à prendre leurs responsabilités » a eu le don d’attiser un peu plus les flammes de leur colère.
Décembre 2019, en plein conflit social autour des retraites, les trains paralysés, alors qu’Emmanuel Macron déclare qu’il n’y aurait pas de « trêve (des confiseurs, ndlr) pour le gouvernement », les quelques jours passés par la ministre Borne à Marrakech passent mal.
Une Première ministre éco-compatible ?
Nommée ministre de la Transition écologique et solidaire en juillet 2019, elle décrète l’ « urgence écologique et climatique ». Parmi ses principaux objectifs : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, une baisse de 40 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030 (contre 30 % précédemment), et la fermeture des dernières centrales à charbon en 2022. Elle décale également de 2025 à 2035 la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production électrique. Définitivement adoptée par le Parlement le 26 septembre 2019, la loi est promulguée le 9 novembre 2019.
La ministre a aussi concrétisé la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim et l’abandon du projet EuropaCity, a instauré une écotaxe sur les billets d’avion, s’est prononcée (en vain) pour la taxation de l’huile de palme ou pour un référendum sur les propositions de la Convention citoyenne pour le climat juste avant de quitter le ministère de la Transition écologique.
Selon un sondage BVA mené peu après son entrée en fonction, 60 % des Français interrogés déclarent ne pas lui faire confiance pour faire de la cause environnementale une priorité. En réponse aux critiques qui la visent sur ce terrain, elle déclare ne pas avoir « de leçons à recevoir sur l’écologie » et se définit comme « une écologiste de terrain ».
On lui doit un plan national baptisé « coup de pouce vélo » destiné à favoriser la réparation des vélos, lancé en mai 2020, à la fin du premier confinement. Il aurait permis, mi-juin 2020, de procéder à la remise en état d’environ 170 000 vélos.
C’est elle aussi qui met fin aux tarifs réglementés des prix du gaz.
Le 6 juillet 2020, le nouveau premier ministre nommé par Emmanuel Macron, Jean Castex la nomme ministre du Travail. Elle récupère le dossier jugé crucial des retraites. A ce poste, elle mène aussi au bout la réforme de l’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er décembre dernier. »À partir du 1er décembre, il faudra avoir travaillé 6 mois et non plus 4 mois pour bénéficier d’une allocation chômage, et la dégressivité s’appliquera au-delà du 6ème mois et non pas du 8ème mois comme aujourd’hui » pour les salaires au-delà de 4500 euros, précisait la ministre du Travail sur France Inter.
Peu populaire, rigoureuse, travailleuse acharnée
« Une fille extraordinaire, épatante, humaine, une bête de travail incroyable », ainsi la décrivait dans la presse la maire de Paris Anne Hidalgo il y a quelques années. Plus récemment, le journal L’Opinion, de tendance libérale, évoque une personnalité « largement reconnue, dans ses rangs comme en dehors, comme une ministre qui maîtrise ses dossiers et sait les mener à terme », mais relève « son manque de poids politique ».
Elle « coche toutes les cases », ont répété les médias ces derniers jours dans le petit jeu des pronostics des favoris au poste de Premier ministre. « Elle ferait une très bonne Première ministre », a confié un membre influant de l’exécutif au Figaro. Ministre depuis le tout premier gouvernement de l’ère Macron, passée au ministère des Transports puis à celui de l’Écologie avant d’arriver au ministère du Travail, « c’est une femme étiquetée à gauche qui ne fait pas peur à la droite », analyse un conseiller, sur le site d’Europe 1.
Élisabeth Borne, investie pour les élections législatives dans le Calvados tentera de décrocher pour la première fois un siège de députée à l’Assemblée nationale sous le drapeau de la majorité présidentielle.
Une Première ministre féministe ?
A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes le 8 mars dernier, Elisabeth Borne déclare dans Forbes vouloir poursuivre « le combat pour l’égalité professionnelle qu’elle juge essentiel et dont le bien-fondé et parfois remis en cause ». « En même temps, quand on regarde l’échiquier politique, on voit que les personnalités qui demandent un retour en arrière sont très isolées. N’oublions pas que les femmes forment la moitié de l’humanité et la moitié de l’électorat », ajoute-t-elle.
Le sexisme dans le milieu professionnel ? Elle-même avoue avoir y avoir échappé, et d’avoir pu être soutenue par des hommes, « Mais j’ai bien conscience que toutes les femmes n’ont pas cette chance. J’ai vu parfois la discrimination à l’œuvre ».
Elisabeth Borne, dans Forbes, le 7 mars 2022
En octobre 2020, dans une interview au Parisien, elle annonce la création d’un nouveau critère, basé sur « la part des femmes dans les cadres dirigeants » pour rendre encore plus efficace l’index Pénicaud, qui mesure les inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Aux cinq critères purement salariaux instaurés par sa prédécesseure, elle veut ajouter un critère évaluant non seulement les écarts de rémunération, mais aussi la place des femmes dans les postes décisionnaires des entreprises. » C’est en agissant à ce niveau, qui est un vivier pour les codir et les comex, que nous pourrons changer les choses durablement », estime la ministre. Un projet concrétisé un an plus tard dans le cadre du projet de loi Egalité économique, comme elle l’explique sur France Inter.
Une femme à Matignon ? Interrogée à ce sujet il y a quelques mois, voici ce qu’elle répondait : « Je pense qu’il serait bien, quelques décennies après Édith Cresson, d’avoir de nouveau une femme Premier ministre. Durant le mandat, cela a été une question de circonstances. Mais je vous rappelle que tous les gouvernements du quinquennat ont été paritaires ». Son gouvernement le sera aussi donc ?