Le Sénégal a connu une longue période où la communication était marquée par le monopole des médias d’Etat. En effet, à cette époque, il n’y avait ni radio, ni télé privées. Il n’y avait qu’une seule radiodiffusion et une seule télévision : l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Sénégal (ORTS). Une période où les opposants n’avaient point de chance d’être relayés par un service public entièrement acquis à la cause de l’Etat ou plutôt du Parti-Etat. Qui plus est, la radio d’Etat fut un puissant moyen de manipulation de l’opinion publique. Un moyen fulgurant d’oppression de l’opposition. En tout cas, un moyen efficace de formatage des esprits. Et pour mieux y parvenir, la synchronisation (radio-télé) rendait la domination encore beaucoup plus foudroyante.
Ce furent des médias d’Etat, d’abord sous le magistère du poète-président. Puis, sous celui d’Abdou Diouf, plus marqué par une période de dé-senghorisation. Une période où il fallait, sous les ordres du nouveau président, mais avec le bras armé de feu Djibo Laity KA, effacer Senghor des cœurs et de la mémoire des sénégalais. Une période, semble-t-il, pour mieux afficher l’autorité du président Abdou, nouvellement arrivé au pouvoir sous l’indéniable bienveillance de Senghor.
Une presse privée tardait étonnamment à naitre au Sénégal, connu pour son modèle démocratique, pendant qu’elle florissait dans la sous-région. Mais elle se faisait ardemment désirer. Ce désir devenait de plus en plus fort, et l’envie plus pressante. Ce n’est que tardivement qu’elle connut son avènement. Un avènement curieusement tardif mais précieusement salutaire pour notre démocratie qui commençait à vaciller et à tanguer en eau trouble. Or le Sénégal n’avait ni besoin de faire du surplace, ni de marcher à reculons. Au contraire il devait résolument avancer, progresser, s’améliorer, se développer. Est-il besoin de rappeler, que le vote d’avant (pour les élections locales, législatives et présidentielles) se faisait sans isoloir et sans encre indélébile? L’éthique et la sincérité du scrutin n’étaient-elles pas toujours entachées par la présence intéressée des influents représentants avantageusement mis en place par le parti au pouvoir ? Cette présence de chefs religieux, coutumiers et des responsables d’Organisations Communautaires de Base ne faisait-elle pas pencher la balance en faveur du parti au pouvoir ?
L’avènement inespéré des radios privées brisa ce monopole rétrograde. D’abord de nouvelles radios (Sud FM SenRadio, Radio Dounya, Walf,), vinrent enrichir l’espace médiatique sénégalais. Ensuite, de nouvelles télévisions (Dounya, 2STV, WalfTV …), vinrent l’embellir. Une presse privée qui s’avéra salutaire pour l’alternance politique en mars 2000. Pour preuve, les radios privées distillaient les résultants des bureaux de vote à mesure qu’ils tombaient. Au même moment, des plateaux spéciaux sur le scrutin étaient organisés dans les télés privées. Difficile alors de dire le contraire des urnes. Autant la fraude était facile avant, autant elle s’avérait difficile voire impossible. Le langage des urnes était si éloquent et si convaincant par voie de presse, qu’il était suicidaire de le renier. Combien ne faudrait-il pas alors saluer le rôle éminemment prépondérant joué par la presse privée ? Comment ne pas consolider et valoriser ce rôle de la presse (surtout indépendante) si précieux pour la respiration de la démocratie ? Une presse privée qui a grandement contribué à la réalisation des deux alternances successives, avec comme cerise sur le gâteau, à chaque fois le vaincu qui appelait le vainqueur pour le féliciter. Des gestes d’une éloquence et d’une élégance toujours salués par la communauté internationale. Les Sénégalais pouvaient donc être fiers de leur citoyenneté et jaloux de leur démocratie. C’est l’un des rares pays en Afrique où sinon les résultats, du moins les lourdes tendances sont connues au soir du scrutin. Ailleurs se sont des affrontements qui émaillent l’attente des résultats. Ici c’est la consécration de la démocratie. Toutefois, il convient de déplorer un fait majeur passé inaperçu lors du dernier scrutin présidentiel. Des radios privées qui, comme lors des précédentes élections rendaient compte des résultats, à mesure qu’ils pleuvaient, furent violemment attaquées. Et ce fut l’omerta. Quel paradoxe ! Ces attaques coïncident avec l’ère du sensationnalisme des réseaux sociaux. Cette ère dont la nouveauté ne fut point un progrès mais hélas, marquée par de subtiles diktats d’anonymes aux propos tout aussi injurieux qu’outranciers sur internet. Ils en usent, en abusent et poussent le bouchon trop loin. Une ère des fossoyeurs et pourfendeurs de la cohésion nationale. Une ère des mafieux prédateurs digitales et intolérables donneurs de fausses leçons qui déconstruisent et fissurent nos valeurs. Ils n’ont aucune hauteur de vue et font fi de l’éthique et des règles à ne pas franchir. Ils ont pour seul objectif d’imposer la spirale du silence pour parvenir à leur funeste dessein inavoué.
De nos jours, la manipulation ne relève plus exclusivement des médias d’Etat mais étonnamment plus des réseaux sociaux, avec une capacité de nuisance encore beaucoup plus chirurgicale. Ils s’attaquent même à la vie privée d’honnêtes personnes, et semblent carrément échapper à tout contrôle. Et rien n’est pire de se rendre compte que ce sont plus des tarés et de ratés qui passent leur temps à dénigrer, manipuler, insulter et à lyncher publiquement d’honnêtes citoyens. Pourquoi tant de quiétude aux imposteurs désormais vent debout contre le pluralisme de la pensée ? Que serait un Sénégal où règnerait l’homogénéisation de la conscience ? D’ailleurs y-a-t-il vraiment une déontologie pour les réseaux sociaux ? Et d’où vient cette poussée fulgurante de cette forme de communication digitale? La faillite des médias professionnels ne participe-t-elle pas à la consécration des réseaux sociaux ? Le dérèglement de la norme déontologique n’a-t-il pas précipité cette la fulgurance de la poussée des plateformes digitales ? Ces réseaux sociaux ne creusent-ils pas des fosses de destruction où des cibles à abattre sont précipitées et plongées sans défense dans la boue ? Pourquoi ne pas alors les réguler, les régulariser et les humaniser pour mieux les adapter aux aspirations profondes des peuples ?
L’heure n’est-elle pas venue d’arrêter les dérives raciales, religieuses et ethnicistes qui sapent hideusement la cohésion sociale et menacent dangereusement l’unité nationale? Pourquoi ne pas rigoureusement appliquer la loi sur la protection des données à caractère personnel ? Pourquoi hésiter à sévir contre tous ceux qui l’enfreignent ? Les supposés intellectuels n’ont-ils pas renoncé à leur mission de veille et d’éveilleurs de consciences? Pourquoi leur silence atomique? Et d’ailleurs, est-ce un silence ou une démission irresponsable? Pourquoi ont-ils renoncé à leur noble mission d’éducateurs privée ? Lorsque ceux qui sont censés montrer la voie s’emmurent dans un silence assourdissant, lorsqu’ils préfèrent fermer les yeux et détourner leur esprit de la pourriture qui envahit la société, c’est alors en toute beauté, l’établissement d’un tribunal des consciences et hélas, le début de l’apocalypse. C’est ce qui arrive, lorsque le CNRA ne remplit pas équitablement son rôle. C’est surtout ce qui advient lorsque le procureur de la république ne s’autosaisit pas de précédents graves relatifs à la corruption et à la concupiscence. Plus inquiétant, c’est ce qui arrive lorsque l’assemblée nationale est la caisse de résonance de l’exécutif, et que le parti au pouvoir étouffe la respiration démocratique.
Or le Sénégal a besoin de se ressaisir avant qu’il ne soit trop tard. Il a surtout intérêt à prévenir l’apocalypse. Dans ce pays il urge de restaurer les autorités qui s’imposent. D’abord l’autorité familiale ne doit pas faiblir. Ensuite, le respect du droit d’ainesse à la place du frère plus financièrement aisé doit être de mise. Enfin, nous devons individuellement et collectivement veiller au respect de l’autorité religieuse. Que serait le Sénégal sans des institutions fortes, sans sa foi, ses lois et ses coutumes?
A bon entendeur…
Samuel SENE