Parmi les nombreuses menaces qui entravent le développement durable, celle des armes légères et de petit calibre est souvent reléguée au second plan. Pourtant ces instruments de mort, qui circulent abondamment dans les zones de conflit et bien au-delà, façonnent le paysage de la violence au quotidien, ce frein majeur à l’essor économique et social.
Lors d’une réunion conjointe de l’Assemblée générale et du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies, les présidents des deux organes ont rappelé avec force que la prolifération de ces armes ne se contente pas d’alimenter l’insécurité : elle sape les fondements mêmes du progrès économique et social. « Le trafic illicite et l’utilisation abusive de ces armes sont les principaux facteurs d’instabilité et de conflit dans le monde », a déclaré le Président de l’Assemblée générale, Philémon Yang.
Les chiffres sont accablants : en 2021, environ 580.000 personnes ont été tuées de manière violente, dont la moitié par arme à feu. Des armes de poing aux fusils d’assaut, les armes légères sont impliquées dans près de la moitié des homicides mondiaux. Mais au-delà des pertes humaines, l’impact économique est vertigineux. En 2023, la violence liée aux armes légères a coûté 22,6 milliards de dollars à l’économie mondiale un chiffre qui dépasse les fonds alloués à l’aide publique au développement pour l’éducation et rivalise avec ceux consacrés à la santé. « Imaginez l’impact de ces ressources si elles étaient utilisées pour atteindre les objectifs de développement social », a insisté M. Yang.
Dans certains pays en conflit, l’achat d’armes représente jusqu’à 30 % du PIB, un détournement de richesses qui prive les populations d’investissements essentiels en matière de santé, d’éducation et d’infrastructures.
D’Haïti au Soudan : à qui profitent les armes légères ?
Certaines régions du monde subissent de plein fouet la prolifération incontrôlée des armes légères. « En Haïti, près de 90 % de la ville de Port-au-Prince est contrôlée par des bandes criminelles, qui sont bien financées par quelqu’un », a rappelé Bob Rae, le Président de l’ECOSOC.
Ces groupes armés ne se contentent pas de semer la terreur : ils paralysent toute tentative de développement. Il en va de même au Soudan du Sud, au Soudan et dans d’autres théâtres de crise où la circulation d’armes légères alimente des cycles de violences interminables, compromettant durablement la gouvernance et l’accès aux services de base. Mais au-delà de leur impact immédiat sur la sécurité, ces armes posent des questions plus profondes, notamment sur la responsabilité des pays fournisseurs. « Ceux qui profitent de l’exportation d’armes contribuent à l’appauvrissement et à la dégradation du monde », a dénoncé M. Rae.
La prolifération ne relève pas seulement de la criminalité : elle est aussi alimentée par des États qui, par choix ou par négligence, laissent ces flux se poursuivre.
Les femmes et les enfants en première ligne
L’un des aspects les plus sinistres de cette crise est son impact sur les populations vulnérables, en particulier les femmes et les filles. « Entre 70 % et 90 % des incidents de violence sexuelle pendant les conflits impliquent des armes légères et de petit calibre », a souligné M. Yang.
Dans les pays où les féminicides sont endémiques, plus de la moitié sont commis avec ces armes.
M. Rae, lui, a pointé du doigt une dynamique plus large : « On pense souvent que les hommes et les garçons sont les premiers concernés, mais non, ce sont principalement les femmes et les filles ». Il a appelé à un changement de paradigme : « Qu’est-ce que ça veut dire d’être un homme ? Est-ce qu’on est un homme parce qu’on a une arme dans la main ? Est-ce qu’on est un vrai homme parce qu’on peut abattre une femme dans l’impunité ? »
Cette année, l’ECOSOC travaille sur les questions liées à l’Objectif de développement durable (ODD) 5, qui vise l’égalité des sexes d’ici 2030. Pour M. Rae, ce principe ne doit pas être une abstraction : « Tant que je serai Président, l’expression égalité de genre ne sera pas bannie », a-t-il dit. Or, si les femmes sont les premières victimes des conflits, elles doivent selon lui être davantage impliquées dans leur résolution et dans la recherche de solutions.