Avec son nom d’artiste lettré en trois et chiffré en deux mais dont l’addition donne trois, votre invité people du jour nous plonge littéralement dans une numérologie qui parle. Les trois lettres de Jay et les deux chiffres de 21 font lit d’un art envoûtant, saucé au feeling et à l’empirisme formateur de son passé de manager de rappeur bercé aux arcanes d’une musique qu’il a su comprendre de l’intérieur, comme de l’extérieur. C’est ce mélange exquis qui fait le charme du rap de Jay 21 qui, dans cet entretien, nous reçoit dans son moi fait de simplicité mais aussi de responsabilité lucide. Musique maestro…..
Qui est Jay 21 ?
Ancien manager reconverti dans le rap, je suis père d’une petite princesse que j’adore, je suis également le fils de Jacqueline, une femme remarquable qui m’a transmis ses valeurs. Je fais partie d’une famille modeste de 7 membres, où les liens fraternels occupent une place très importante. J’ai passé mon enfance à la Patte d’Oie Builders, avant de m’établir aux maristes. Je cultive la simplicité dans tous les aspects de ma vie, sans attache particulière aux préférences conventionnelles, que ce soit pour les couleurs ou la nourriture. La musique est ma passion, mais ma foi chrétienne guide mes pas. Bien que je ne prétende pas être parfait, je m’efforce de vivre selon les préceptes divins. Ma motivation est de rendre fiers ceux qui m’entourent et me soutiennent : mes fans, mes amis, ma famille. Je savoure chaque instant de la vie tout en restant reconnaissant envers ceux qui m’accompagnent dans mon parcours.
Vous avez commencé en tant que manager d’artistes avant de vous lancer dans la musique. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir cette étape et à devenir artiste vous-même ?
La musique a toujours fait partie intégrante de ma vie. J’ai grandi dans un environnement musical riche, où mes aînés pratiquaient le rap. Mon grand frère, ingénieur du son avec plus de 25 ans d’expérience dans l’industrie musicale, partageait ma chambre qu’il avait transformée en studio d’enregistrement pour ses clients. Mon parcours professionnel m’a d’abord mené vers le management, culminant avec la création de notre label Buzzlab. Pendant une décennie, j’ai consacré toute mon énergie au développement du rap dans ce rôle. Même si la routine finit par me lasser, j’avais toujours accès au studio.
En coulisses, nous nous amusions déjà entre nous, improvisant des freestyles et faisant des sessions d’enregistrement quand le studio était libre. Avec le recul, ma transition vers la création musicale semblait inévitable, il ne manquait que le moment opportun pour franchir le pas.
En 2009, vous avez cofondé le label BuzzLab. Comment cette expérience vous a-t-elle façonné en tant qu’artiste et entrepreneur ?
Mon expérience en studio m’a offert une perspective unique sur le métier d’artiste. À force d’observer et d’accompagner de nombreux talents, j’ai pu décrypter les mécanismes de la création artistique, ce qui m’a permis d’affiner ma propre technique et de développer mon flow. Au-delà de l’aspect artistique, cette immersion dans l’industrie m’a enseigné les rouages du business musical : la recherche de financements, les techniques de commercialisation entre autres aspects.
Cette expérience m’a ouvert les yeux sur la réalité globale du hip-hop. Et ce que j’ai compris c’est que pour perdurer dans ce milieu et faire grandir sa carrière d’artiste, il est crucial de développer un esprit d’entrepreneur. L’art seul ne suffit pas.
Qu’est-ce qui a, d’ailleurs, motivé votre décision de quitter le label en 2018 pour vous concentrer sur votre carrière solo ?
C’était une décision très dure mais je devais le faire. J’avais consacré chaque aspect de ma vie au groupe : mon temps, mes ressources financières, mon énergie, ma maison. J’avais donné sans compter, jusqu’à n’avoir plus rien à prouver. La vie suivait son cours naturel : nous avancions en âge, certains se mariaient, devenaient parents. Progressivement, les priorités individuelles ont pris le pas sur l’esprit collectif qui nous animait auparavant. La communication s’établit, et je sentais que notre dynamique de groupe s’effritait. La page devait se tourner.
Votre premier single « Sama Aicha » aborde le sujet sensible du viol sur mineure. Pourquoi était-il important pour vous de traiter ce thème ?
Un concours de circonstances je dirais ! Une amie proche, aujourd’hui très connue, s’est confiée à moi dans un moment de détresse. Suite à un incident avec son compagnon, des souvenirs traumatiques ont resurgi : elle avait été victime d’une agression sexuelle par un ouvrier travaillant près de chez elle. Cette confession, partagée en larmes dans sa voiture, m’a profondément marqué. Cette même semaine, comme si le destin voulait me sensibiliser davantage, j’ai été confronté à de nombreux récits similaires. Je savais alors que je devais utiliser ma voix pour dénoncer ces actes. C’est ainsi qu’est née ma chanson « Tieuy sama Aicha », un hommage aux survivantes et un message fort : ce n’est pas aux victimes de porter la honte, mais aux agresseurs.
Votre projet « 21 » est considéré comme la meilleure mixtape de l’histoire du rap sénégalais. Qu’est-ce qui le rend si spécial selon vous ?
« 21 » se distingue dans l’histoire du rap ! Sans minimiser les nombreux projets remarquables qui ont marqué le genre, certains semblant même venir d’un autre monde tant ils sont exceptionnels « 21 » possède une dimension prophétique qui le rend unique. C’est plus qu’un simple projet pour moi : c’est un processus de guérison, une délivrance. Ayant connu une jeunesse tumultueuse, j’ai voulu transformer ces expériences en leçons de vie. Le public a accueilli cette authenticité avec une grande réceptivité, se reconnaissant dans ces paroles. »21″ est le reflet de mon existence, une œuvre autobiographique où j’ai déversé toute mon âme. Et j’y ai apporté une fraîcheur tant dans le flow que dans les techniques utilisées.
Comment décririez-vous l’évolution de votre style musical depuis vos débuts ?
Je marche avec le temps. Je comprends que tout est en perpétuel mouvement, y compris la musique et le rap. Cette ouverture d’esprit est fondamentale dans mon approche artistique. C’est pourquoi j’aime dire que « ne pas avoir de style est mon style », je reste réceptif à tout ce qui me touche. Néanmoins, j’ai ma signature personnelle, mon flow qui définit mon identité artistique.
C’est l’essence même de qui je suis en tant qu’artiste. Cette signature n’est pas figée pour autant elle s’affine et s’enrichit au fil des sessions studio et des projets que je développe.
Le chiffre 21 revient souvent dans votre parcours. Quelle est sa signification particulière pour vous ?
C’est d’abord ma date de naissance, le 21 avril, il s’étend à notre époque, le 21ème siècle, et trouve un écho particulier dans l’histoire du rap avec les 21 ans écoulés depuis la disparition de Tupac et de la sortie de mon album.
Le destin a voulu que ce chiffre marque aussi des moments charnières de ma vie : mon entrée dans le monde du rap comme manager à 21 ans, et un événement particulièrement poignant : le décès de mon père un 18 avril, suivi du rapatriement de sa dépouille de France le 21 avril. C’est donc tout naturellement que j’ai choisi de sortir mon premier projet un 21 avril, comme pour boucler la boucle de ces correspondances. Mais je ne m’y attarde pas trop.
Comment gérez-vous la transition entre votre rôle d’artiste et celui de dirigeant de label ?
C’est tout à fait gérable, 21 Records n’a pas encore signé d’artistes et n’a donc pas encore ouvert ses portes au grand public. Je ne change pas vraiment de rôle pour l’instant, je suis simplement un artiste.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du rap sénégalais depuis vos débuts ?
Nous assistons à l’émergence d’une nouvelle génération de rappeurs, plus nombreuse que jamais dans l’histoire du genre. Cependant, cette prolifération d’artistes met en lumière un manque : celui de labels professionnels capables de comprendre et d’encadrer efficacement ces talents. Certes, avec Buzzlab, nous avons été pionniers en montrant une voie possible, mais cela reste insuffisant face à l’ampleur du phénomène.
La réalité du terrain est celle d’artistes contraints à l’auto-production, gérant seuls leurs projets et leurs clips. Le soutien financier demeure limité, avec peu de partenariats et de sponsoring, ce qui rend difficile la professionnalisation du secteur. Rares sont ceux qui peuvent vivre exclusivement de leur musique.
Pouvez-vous nous parler de votre nouveau projet en préparation ?
Je m’apprête à dévoiler mon prochain album intitulé « 197 », un chiffre qui n’est autre que le numéro de ma maison, lieu chargé d’histoire et de souvenirs. Mais avant cette sortie majeure, je prépare le terrain avec « Before The Album Vol.2″, un EP qui arrivera dans deux semaines pour réveiller mon public et poser les bases. »197 » est le fruit de trois années de travail, une période particulièrement sombre de mon existence.
Cependant, grâce à ma foi, j’ai su me relever de ces épreuves. Cet album incarne ma résurrection, ma victoire sur l’adversité. Pour utiliser le langage du rap : je reviens avec un projet percutant, du « sale » comme on dit dans le milieu, quelque chose qui va marquer les esprits. Tenez-vous prêts.
ANNA THIAW