Hormis les productions littéraires (‘’Thiaroye 44 Scénario inédit’’, de Boubacar Boris Diop et Ben Diogaye Bèye) ou encore cinématographiques (‘’Camp de Thiaroye’’, de Sembène Ousmane) par exemple, que retenons-nous de Thiaroye 44 ? La question sonne bien dans l’actualité qui prélude la commémoration du 80e anniversaire du massacre.
Quatre-vingts ans après, Thiaroye présente l’aspect d’un octogénaire ridé, le visage plein d’amertume, le cœur soif de justice. Personne ou presque ne s’est véritablement occupé de lui. Son histoire, mutilée, est méconnue du grand public africain, finalement réduite à ne l’appréhender qu’avec émotion. Avant que Thiaroye ne meure une deuxième fois, il est alors plus que temps de retracer les véritables contours des évènements qui l’ont rendu tristement célèbre.
Dans cette perspective, la commémoration du 1er décembre de cette année qui coïncide avec les 80 ans de la libération de la France – devrait sonner le début d’un grand tournant. Les enjeux véritables de cette tragédie devraient être posés. Cela passe sans doute par un réajustement du regard que l’ancienne colonie a de Thiaroye. Se glorifiant de petits efforts sur la base d’un devoir mémoriel, la France a été absurde de parler de reconnaissance pour « six tirailleurs ».
L’enjeu est loin de cette catégorisation qui tente de noyer le massacre dans des statistiques biaisées. Combien sont-ils déjà, ces héros de la fosse commune ? Des dizaines, des centaines, des milliers ? A ce titre, Ousmane Sonko n’a pas tort de rappeler qu’il n’appartient pas à la France de fixer unilatéralement le nombre d’africains assassinés à Thiaroye. Mais, il faut aller bien plus loin. En soi, ce geste de « reconnaissance posthume » contribue davantage à détourner l’Afrique de l’essentiel, sur le chemin de la vérité et de la justice. Le concept « tirailleurs africains morts pour la France », ne s’accommode que trop mal d’avec cette tuerie. Le 1er décembre 1944, les tirailleurs tombés sous les balles de leurs « frères d’armes » ne sont pas « morts pour la France ». Ils l’auraient été s’ils étaient tombés au front, les armes à la main, face à l’ennemi.
Et, cela aurait été infiniment moins douloureux que la manière dont ils ont été lâchement assassinés. Le pire dans cette histoire, c’est qu’à Thiaroye, les tirailleurs, victimes de trahison, sont plutôt « morts par la France ». Ce sont bien des français qui ont commandité et exécuté ce massacre pour des raisons qui ne peuvent rester éternellement inaccessibles et des responsabilités qui ne peuvent rester indéfiniment impunies. Certes, quelqu’un comme François Hollande qui, sous son mandat, avait fait un « grand » pas (comparé à ses prédécesseurs), rendant officiellement hommage aux victimes, a encore sauté un plus haut. Ce lundi, au micro de nos confrères de Rfi, il avoue finalement un « massacre ». Mais, le Sénégal et l’Afrique attendent plus. Au-delà du devoir mémoriel, il faut situer les responsabilités et rendre la justice sous tous ses aspects. Emmanuel Macron, hôte de Bassirou Diomaye Faye le 1er décembre prochain, est également très attendu à ce tournant.
Rappel subsidiaire : En septembre 2002, le chavirement du bateau le Joola, a priori accidentel, avait nécessité une rare diligence de la part de la France. La responsabilité de plusieurs hautes autorités sénégalaises avait été (pré)établie, dont celle de l’ancienne Première ministre, Mame Madior Boye, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, émis en 2008 par les autorités judiciaires françaises. Sans entrer dans un juridisme et une comparaison hors champ, la responsabilité « sans faute » des autorités sénégalaises ne saurait être mieux établie dans le naufrage du Joola que celle des autorités françaises dans le massacre de Thiaroye.
Elhadji Mansor Ndiaye