Boubacar Camara, président du parti de la construction et de la solidarité (PCS/Jengu Tabax), candidat à la présidentielle de 2024 n’a pas mâché ses mots. Invité du «Grand Oral » sur Rewmi Tv il a dénoncé le fait que le régime en place veuille éliminer ceux qui luttent pour l’intérêt général. A l’en croire, il faut changer de cap par tous les moyens. Il a décliné sa vision en levant un coin du voile de son programme.
Vous êtes ancien directeur général des Douanes. Quel est l’impact de cette administration sur l’économie avec les lourdeurs fiscales, l’inflation ?
Tant que la douane a de l’importance cela veut dire que l’économie ne marche pas bien. Cela veut dire qu’on importe beaucoup, avec une économie extravertie et donc on doit beaucoup produire et collecter les recettes au plan interne. On peut placer certaines recettes au niveau du cordon car c’est plus facile à appréhender, mais chaque fois qu’on voit que les recettes progressent de façon exponentielle sauf situation exceptionnelle, c’est un mauvais signe. Donc le rôle de la douane c’est de sécuriser cette collecte au plan frontalier car nous avons une fiscalité communautaire etc. La douane est d’une importance capitale. Même si on produit beaucoup elle reste une administration capitale car il y a collecte des recettes mais aussi la facilité des opérations, des régies d’entrepôts de transformations etc de paiement sur des produits. Il y a la sécurisation de la chaîne avec les saisies de produits, de drogue.
On a connu une traversée du désert sous Diouf. En 2000 c’est un effacement de la dette. Mais avec Macky c’est 15 mille milliards de dette. Peut-on redouter ces années de braises ?
Oui en plus de la dette, il y a cette situation politique tendue, avec la violation des droits et libertés qui sont la conséquence justement de ce combat entre l’intérêt collectif et l’intérêt privé. Quand Senghor est arrivé on avait un pays avec une indépendance avec Mamadou Dia et ce fut la séparation. Il y avait l’option de Senghor qui a remis la Constitution et commencé des projets, sur le domaine national avec les mêmes choses que nous avons dont le projet de l’arachide. Et cela commence à gouverner en 68. Mais ce fut rien car il y avait des difficultés. En 68 le pouvoir était dans la rue et un régime dur avec un parti unique. En 70 il crée le poste de Premier ministre avec Diouf qui prend les choses en main. En 73, c’est la grande sécheresse et pas de pluie, pas d’argent, le budget n’était pas grand-chose. En 75 et 76, Wade décide de créer un parti d’opposition et Cheikh Anta en 76 avait son parti. Alors Senghor a fini par créer la loi des quatre courants. Un courant socialiste, marxiste-léniniste, conservateur et libéral. Alors il y avait un courant libéral incarné par Wade et autre sous Senghor qui prend la voie socialiste, d’autres des conservateurs Boubacar Gueye et les marxistes avec Majmouth Diop. Il y a eu une pression énorme et une bataille incroyable pour la démocratie. Economiquement il n’y avait rien. Rien ne marchait car l’administration était gérée sous Senghor qui avait décidé de partir. Il a fait des choses graves avec le changement de la Constitution à son art 35 en disant qu’il allait être remplacé par un Pm et que ce dernier va terminer son mandat. Donc, De 80 à 83, le président de la République exerçait un mandat sans être élu. C’est grave de mettre des fonctionnaires et que l’on impose à un état. C’est ce que Macky fait avec Amadou Ba sans lui donner l’art 35. Et il a tous les problèmes car il ne s’est jamais battu pour le peuple. Alors Diouf gagne sans difficultés et après c’est le plan d’ajustement etc. Il a travaillé avec les bailleurs de fonds, les moyens de l’Etat, de réduire les fonctionnaires au lieu de développer les ressources naturelles, ils ont commencé à démanteler tout le processus d’industrialisation. Il a réussi avec Loum mais les gens en avaient marre avec les coupures, la grève etc. En 2000 Wade est porté avec un changement de paradigme et il a mis le cap avec beaucoup de choses et beaucoup d’investissements. Il a foncé sur les infrastructures. Mais cela s’est cassé car il n’y a pas eu cette continuité. Macky a pris tous les travailleurs de Wade et a fait l’inverse. Aujourd’hui, les régimes qui se sont succédé ont atteint leurs limites et il faut complétement changer de cap.
Depuis 2 ans on parle de croissance à deux chiffres mais on peine à atteindre ce taux à cause des retards dans la gestion des ressources naturelles. Est-ce pertinent de se baser sur cette rampe pétrolière ?
Ils avaient prévu une croissance à deux chiffres avec une contribution de 4% pour l’exploitation pétrolière sinon il n’y pas de substitution. Ce n’est pas possible même si c’est une croissance à deux chiffres, car ce ne sera pas inclusive. Car les secteurs essentiels vers lesquels il faut mettre l’argent n’existent pas. Ni dans l’agriculture, ni dans la pêche ni dans l’élevage, il n’y pas d’investissements. Même si on avait une croissance à deux chiffres, cela ne signifierait pas que les gens vont sentir cette croissance.
Quel est le problème avec cette croissance ?
L’orientation pose problème et des secteurs en détails que les populations puissent avoir des revenus. Si on s’endette on paie et il faut le mettre dans l’agriculture. Celui qui vous prête de l’argent va le faire afin que vous le mettiez dans les infrastructures, faire travailler ses entreprises, et vous allez récolter des miettes (alors que) les populations ont des problèmes d’engrais, d’eau et de terre. Je l’ai critiqué pendant longtemps. Nous avons fait le tour du pays mais les gens n’ont rien, le bijoutier n’a pas d’or, le cordonnier n’a pas de peau, le commerce est sans organisation. Quand on n’organise pas le pays, on finit par être à l’arrêt et donc le régime utilise la répression.
La viabilité des PME pose problème. Cela traduit-il la fragilité du secteur privé ?
Oui mais on ne peut pas aider ce secteur avec l’argent des autres. Quand on n’a pas de maîtrise sur les ressources naturelles, il faut être intelligent. Mais il faut dire que moi je structure un financement sur l’or, je mets une société joint-venture avec celui qui va exploiter mon or mais je place mon secteur privé qui va prendre 64%. Quand on lève le financement on peut travailler. Mais quand l’argent ne nous appartient pas c’est un problème. La critique qu’ils font contre le secteur privé est abjecte. On ne peut pas critiquer les gens du secteur privé, prétextant que des travaux ne sont pas terminés ; il faut donner la place à son secteur privé à partir de tes propres biens.
Un pays comme Singapour s’appuie sur les ressources humaines pour aider l’économie. Chez nous, pourquoi on n’arrive pas à en profiter ?
Les ressources naturelles des leviers pour structurer des financements pour industrialiser le pays. Il faut le capital humain d’où l’éducation et la santé, la gouvernance. Prenons l’éducation qui est à terre. Une université fermée, un circuit qui laisse en rade des jeunes, des diplômés qui chôment… Une orientation vers les séries littéraires et désarticulée sans adéquation avec le besoin du marché. Il faut tout repenser. D’où 8 mille milliards fonds revolving tirés des ressources naturelles, éducation gratuite jusqu’à 25 ans, obligatoire jusqu’à 16 ans. On aura un capital humain performant et à terme qui est bon avec 5000 ingénieurs et 1000 médecins à former. Nous avons tout structuré. Quand vous avez des ressources naturelles, vous les transformez, vous les industrialisez, c’est l’industrie qui fabrique les machines. On importe moins et on gagne 1200 milliards. C’est ce que le pays paie pour avoir des biens d’équipements, du riz, de la farine etc. On a des problèmes dans l’aliment de bétail et donc il faut inverser les choses dès lors qu’on a eu la chance d’avoir du gaz et du fer.
La cherté de la vie est insupportable pour les consommateurs. Qu’est-ce que vous proposez ?
Pour que la vie soit moins chère, il faut que les produits soient obtenus ici. On importe avec des taxes et cela se répercute sur les consommateurs. Il faut produire et consommer locale. On ne peut pas se passer du riz, mis il faut en produire en quantité. On nous a trompés sur les chiffres en nous faisant croire que l’autosuffisance sera en 2017. On importe tout pratiquement alors qu’avec la recherche nous avons tout. Mais si vous vous fondez sur l’endettement vous ne pouvez pas le faire.
Comment analysez-vous le processus électoral à quelques mois de la présidentielle ?
En 2012, on avait un processus correct. Il faut rendre hommage à Abdoulaye Wade. Jusqu’en 2000, le pourcentage des élections présidentielles était incroyable. Cela dépassait les 80%. Il y a eu un combat avec un code consensuel en 2000. Il y avait le parrainage mais cela concernait les indépendants. La pièce d’identité était séparée de la carte d’électeur avec deux fonctions différentes. Le fichier est indisponible. Macky a introduit le parrainage pour casser la participation. Je faisais partie des recalés en 2018. Le processus a été cassé depuis 2000. En 2017 il y’avait la pagaille car des gens votaient avec n’importe qu’elle pièce. Avec le processus que nous avons, il est complètement entre les mains du pouvoir et personne ne sait l’application. Vous collectez et c’est à eux de voir, on compare avec des codes sources et des commandes non maitrisés ; c’est un mauvais processus.
Aviez-vous pris part au dialogue dont les conclusions sont en train d’être appliquées ?
Non ce processus c’est avant le dialogue. Pour le ministère de l’intérieur, il faut une personnalité neutre et cela n’a pas été traité au dialogue. Le parrainage personne n’a dit qu’il ne fallait pas faire un parrainage. Mais il faut au moins deux ou trois et la Cedeao a dit que c’est de la violation. Ils ont juste changé avec des députés pour que d’autres passent. Ils allaient le faire et ont agi de façon unilatérale. Ils ne demandent l’avis de personne même lors des révisons des listes électorales. Et ils ont des complices dans l’opposition. Nous allons d’ailleurs, une fois élu nous allons prendre des dispositifs dont la remise en cause avec des termes de référence et améliorer cette situation de 2012.
Etes-vous rassurés une fois au conseil constitutionnel ?
On va se battre car personne n‘est rassurée. On verra bien car on ne va laisser des gens éliminer des candidats dans le parrainage et sur des dossiers judicaires. Quand on met l’intérêt particulier sur l’intérêt général, c’est qu’il y a une menace sur l’intérêt collectif. On devient répressif. Nous en sommes là.
A deux mois de la présidentielle le débat est parasité par des dossiers judiciaires ?
La politique doit rester à la porte du palais de justice. Il y a des dossiers qui ont des relents politiques parce qu’ils concernent des hommes politiques, mais ce sont des dossiers de droits communs. Il faut les traiter correctement, en respectant le calendrier. Nul n’est au-dessus de la loi mais, il existe des dossiers politiques avec des violations graves des institutions. C’est le cas Ousmane Sonko avec un ministre de la justice qui interprète des faits et dit qu’il prend la responsabilité de s’ériger en juge. Le processus d’élimination des candidats qui incarnent l’intérêt collectif est là. Des hommes politiques qui aspirent au changement mais on utilise des moyens pour les bloquer y compris la violation de ses propres règles. C’est du « je m’en foutisme ».
MOMAR CISSE