La crise du coronavirus a en effet entraîné un effondrement du courrier et des transferts d’argent. Les estimations faites laissent entrevoir une perte probable de l’ordre de 4 à 6 milliards à La Poste, si ses créances ne sont pas recouvrées, alerte le DG de La Poste. Dans cet entretien, Abdoulaye Bibi Baldé passe en revue l’état des lieux du secteur postal et les états financiers de La Poste qui n’ont pas été faits sur ces 6 dernières années. Entretien exclusif !
Quelles sont les réformes engagées à La Poste depuis votre nomination ?
A ma nomination à la Direction générale de la société nationale La Poste, j’ai voulu inscrire mon action dans une démarche de planification participative, de gestion axée sur les résultats et de performance. C’est dans ce sens qu’après avoir rencontré toutes les parties prenantes de La Poste, j’ai décidé d’élaborer, en les impliquant toutes et totalement, les documents stratégiques et opérationnels qui seront nos balises sur ce voyage vers la performance.
La vision s’articule autour de quatre principaux axes dont le développement de l’offre de service ; développement de la stratégie commerciale et du partenariat ; gestion du patrimoine et modernisation des infrastructures ; pilotage et gestion administrative. « Être l’opérateur postal leader en Afrique à l’horizon 2024, avec des services innovants, inclusifs et durables, des infrastructures optimisées et des ressources humaines de qualité ». Nous nous engageons pour le développement de l’offre de service, la gestion du patrimoine et modernisation des infrastructures. Pour le cadre institutionnel, nous allons poursuive la restructuration du groupe La Poste, finaliser la réforme de l’École Nationale des Postes (ENP). Et également mettre en place de la cellule stratégique de veille et renforcer la Responsabilité Sociétale d’Entreprise (RSE). Nous allons également revoir le dispositif de pilotage
Depuis des années, l’entreprise ne fait même pas son bilan annuel. Avez-vous prévu un audit de La Poste ?
L’audit en soi n’est pas une mauvaise chose et le but premier d’un audit d’entreprise est de disposer de données pouvant permettre d’analyser le fonctionnement d’une société en divers points. Cette analyse aboutit donc à la prise de résolutions multiples pour améliorer les prestations et le chiffre d’affaires. Ce n’est donc pas une formalité dont on peut se passer ou qu’on peut prendre à la légère. Par ailleurs, il convient de souligner que La Poste continue de recevoir les corps de contrôle de l’État qui viennent périodiquement procéder au contrôle des opérations et des actes dans le cadre d’un audit externe. S’agissant des documents comptables, nous avons effectivement constaté, à notre arrivée, l’absence des états financiers sur les 6 dernières années. Heureusement nous avons pu combler ce retard en moins d’un an avec la production des états financiers jusqu’en 2017. Cela nous a permis d’avoir la réalité des chiffres récents et de nous y adosser pour mieux asseoir des stratégies appropriées de relance.
Outre la masse salariale non contrôlée, La Poste est dans un déficit chronique, depuis 2011. Pas de recrutement via concours. Avez-vous des solutions ?
Durant plusieurs années, La Poste a fait partie des entreprises du secteur parapublic les plus importantes eu égard notamment à sa contribution au développement économique et social, qui s’apprécie par le nombre d’emplois créé et son chiffre d’affaires. Toutefois, les innovations liées au développement fulgurant des technologies de l’information et de la communication ont favorisé la mise en place de petites et moyennes entreprises offrant des services dans un domaine jusque-là monopolisé par La Poste. La concurrence qui découle de cette situation combinée à d’autres facteurs a plongé la Poste dans une situation de vulnérabilité. Aujourd’hui, la masse salariale est relativement acceptable malgré le nombre d’employés qui tourne autour de 3.500 agents. D’ailleurs pour optimiser d’avantage les ressources financiers des produits et services innovants sont mis en place. Pour résorber la pléthore d’agents dans certains bureaux de poste, un mécanisme de reploiement du personnel dans d’autres bureaux où un manque de personnel est noté est en cours. Le concours direct de l’école des postes est relancé et dés l’année prochaine le concours sera lancé. Il était prévu de le relancer cette année mais à cause du Covid 19 cela n’a été possible.
« Pas d’états financiers à La Poste sur les 6 dernières années »
Quel est l’état des lieux actuel du secteur postal au Sénégal ?
Aujourd’hui, suite à des tentatives de régularisation des acteurs privés (Autorisations provisoires en 2007, licences en 2011), les produits et services postaux accessibles aux acteurs privés. Selon l’ARTP, de manière globale, le secteur postal contribue faiblement à la création de richesse nationale mais a un impact social considérable. Les revenus du marché postal sont estimés à plus de 34 milliards de francs CFA en 2017, soit une hausse de 28% comparativement à 2016. Les emplois du secteur postal proviennent essentiellement de l’opérateur historique. A la fin 2017, les emplois liés à l’activité postale sont estimés à plus de 3 200 emplois permanents, 892 emplois temporaires et 697 prestataires de services. La société nationale compte 3 008 contrats à durée indéterminée, 619 contrats à durée déterminée et un nombre important de prestataires. En ce qui concerne l’évolution du secteur en 2017, 565 établissements postaux ont été dénombrés dans le réseau de distribution, dont les 43% sont répartis à Dakar et le reste dans les autres régions. Cependant, on note une baisse de 1% du nombre des points de contact entre 2016 et 2017. Ce recul est lié à la fermeture de quelques points implantés au niveau des prestataires de services établis à Dakar.
Le secteur postal sénégalais, malgré les avancées, demeure étranglé par une réglementation jugée obsolète. Que prévoyez-vous de faire ?
L’environnement postal au Sénégal est aujourd’hui marqué par des évolutions importantes sous l’effet conjugué de facteurs internationaux et nationaux. Au plan international, l’utilisation de plus en plus accrue des technologies de l’information et de la communication dans les services postaux et les services financiers, a entraîné une réduction du volume des envois papiers et une baisse des revenus liés au courrier traditionnel. Toutefois, cette baisse s’est accompagnée d’une augmentation du volume des colis transportés, preuve que les membres de la communauté postale pourraient tout aussi bien être les principaux bénéficiaires des changements qui interviennent dans le monde numérique, s’ils opéraient les mutations requises permettant de saisir les opportunités offertes par cette évolution. Au plan national, en sus des évolutions évoquées ci-dessus et qui impactent le secteur, il a été relevé une dynamique concurrentielle soutenue avec la présence de plusieurs opérateurs privés titulaires de licence qui souhaitent de plus en plus disposer d’un espace économique plus étendu. Les services postaux étant des leviers de la croissance économique, les acteurs du secteur (opérateurs, régulateurs et pouvoirs publics) doivent faire preuve d’innovation et d’adaptation afin de saisir et exploiter les nombreuses opportunités que leur offrent les technologiques de l’information et de la communication. Il est également apparu nécessaire d’adapter la réglementation postale pour la mettre en adéquation avec les besoins nouveaux des consommateurs et répondre aux nouvelles exigences de l’environnement pour intégrer certains objectifs émanant de la stratégie mondiale telle que définie par l’Union postale universelle lors du dernier congrès tenu à Doha en septembre 2012.
Sur quels leviers s’appuie La Poste pour booster l’économie sénégalaise ?
Les leviers auxquels La Poste peut actionner pour booster l’économie Sénégalaise sont multiples et variés mais on peut retenir d’une part, sa participation dans l’aménagement du territoire en rentabilisant son réseau avec une nouvelle vision : offrir à la population à travers son réseau précisément dans les capitales départementales des services multiples et variés en partenariat si possible (genre des showrooms y compris restaurant, hôtel, commerce etc.), le citoyen par avoir accès à des services sans avoir à se déplacer sur de longues distances. D’autre part, la démocratisation de l’accès Internet à travers le réseau de La Poste. La Poste a un rôle important à jouer avec les opérateurs de téléphonie ; mais également investir le secteur des transports de personne et de marchandises et même envisager une licence pour le transit, fret aérien et maritime ; participer activement dans les campagnes agricoles par la collecte, la distribution, le transport et éventuellement le financement des campagnes. Ce seraient des sources de créations d’emploi et/ou de redéploiement du personnel.
La Poste a-t-elle été impactée par la Covid ? Si Oui, à combien estimez-vous les pertes subies ?
La Poste est doublement impactée : directement sur ses activités de transferts d’argent, de traitement et distribution du courrier et colis ; mais également indirectement à travers ses clients et partenaires impactés sur qui des créances sont à recouvrer. Les estimations faites laissent entrevoir une perte probable de l’ordre de 4 à 6 milliards si la trésorerie n’était pas au rendez-vous, principalement si nos créances ne sont pas recouvrées et/ou que le(s) activité(s) du transfert d’argent et du courrier/colis ne reprennent pas activement.
La Rédaction