Des marchands toujours têtus au marché Eglise des Parcelles Assainies, le boutiquier du coin faisant fi des nouveaux prix, des détaillants du marché Gueule Tapée parlant de leurs stocks inépuisés et des grossistes clamant une décision prise dans la précipitation malgré la campagne de contrôle des nouveaux prix fixés par le chef de l’État menée ce lundi 14 novembre 2022 par la Direction du Commerce Intérieur, voilà la situation sur la réduction annoncée des prix de certains produits à Dakar notamment.
Le président de la République Macky Sall avait annoncé lors d’un Conseil spécial sur la consommation une baisse des prix des denrées de première nécessité et du loyer. Ainsi onze mesures visant à réduire la cherté de la vie devraient prendre effet ce Samedi 12 novembre 2022 sur toute l’étendue de la Région de Dakar. En effet, c’est le Ministère du Commerce qui est chargé de l’exécution de ces recommandations, Cependant certains commerçants n’appliquent toujours pas les décisions du Chef de l’Etat fixant les prix. Au niveau des marchés comme chez certains boutiquiers du coin le constat est que les prix n’ont toujours pas évolués.
Réticences des commerçants
Abdou Diallo, la quarantaine, est surpris dans sa boutique sise à l’Unité 11 des Parcelles Assainies s’affairant autour de la monnaie qu’il devait certainement remettre à l’un de ses clients debout devant le comptoir. Sans l’interrompre, notre question a été de savoir quel est le prix du kilogramme de pomme de terre ; il répond ceci : «Pomme de terre c’est 600 FCFA le kilogramme ; je suis au courant des mesures mais le stock dont je dispose, je l’ai acheté et il était cher en ce moment-là, c’est la raison pour laquelle je continue de vendre avec les prix de jadis», contente-t-il d’expliquer.
Cette situation de non-effectivité de l’application des nouveaux des prix, annoncée auparavant nous a poussée d’aller chercher plus loin pour des explications. Et ainsi, nous sommes partis au marché Eglise non loin de l’Hôtel de ville de la commune des Parcelles Assainies. Une matinale comme toutes les autres, des clients venus de partout, des étales et des tables à perte de vue, des denrées de tout genre campent le décor.
Fatou Sall est trouvée devant un tas d’oignons importés : «Le marché est mal contrôlé parce qu’il y a beaucoup de fournisseurs actuellement et donc les prix varient ; et puis, il faut savoir que depuis que la campagne a commencé, on faisait des bénéfices mais ça fait presque un ou deux mois on vend à perte. De plus, les mesures prises par le Chef de l’Etat, nous on a essayées de les respecter, mais actuellement le marché est libre. Il y a certes des gens qui les respectent mais par contre, d’autres ne le font pas. Peut-être qu’il y a un manque de contrôle au niveau des marchés, c’est ce qui explique cela, mais en tout cas, il faut mettre plus l’accent sur les grossistes, les importateurs et les détaillants parce que l’intermédiaire, c’est-à-dire le demi-grossiste, essaye pour sa part, seulement de vendre à une marge très réduite», dit-elle. Interrogée également sur le prix du kilogramme, elle répond que le prix est à «600 FCFA».
‘’Vendre à perte’’
A quelques encablures de là, se trouve l’autre marché très populaire dit de la Gueule Tapée. Ce dernier est scindé en deux parties par la route de Camberène le traversant, l’une est pratiquement occupée par les marchands de poissons ou de légumes et l’autre par de grands marchands car ne laissant rien en rade. Et là, au fond, se trouve une sorte de dépôt appelé ‘’Pak-soblé’’, un endroit qui regorge de sacs d’oignons entreposés sur un grand périmètre. Babacar Diop est l’un des responsables trouvé sur place devant des centaines de sacs d’oignon ; à l’en croire, il est difficile de donner un prix fixe. «Pour vous donner le prix du sac d’oignon, ça va être très difficile parce que les prix varient, il y a une fourchette qui varie de 11000 FCFA à 11500 FCFA au niveau des grossistes donc on n’arrive pas peut être à maitriser le détail. Le prix donné au détail est à 500 FCFA fixé par la Commission et homologué par le Président de la République mais quand vous allez au niveau des détaillants, ils vous vendent l’oignon à 600 FCFA actuellement. Mais nous à notre niveau, on est de 425 à 440 FCFA pour le kilogramme». Dès que nous lui avons parlé de la visite imminente des contrôleurs de prix, il a laissé entendre ceci : «Nous, à notre niveau, on attend de voir parce qu’on n’a pas encore eu de visite de contrôleurs. D’habitude le Service du commerce de Guédiawaye nous appelait chaque semaine pour prendre la situation sur les prix, le stock disponible, mais voilà une ou deux semaines qu’on n’en a pas reçu et on ne voit pas non plus d’agents pour faire le contrôle. Forcément, on va coopérer parce que cela y va de notre intérêt et de l’intérêt du peuple sénégalais et donc on va coopérer ne serait-ce que pour ça et cela nous fait quelque chose parce que le commerçant, quand il va au marché, il cherche de gagner des bénéfices, c’est son gagne-pain, maintenant quand tu mets en vente ton oignon à perte, là il y a problème. Je ne sais pas ce que l’Etat est en train de faire avec les gros importateurs, est-ce que eux ils vont vendre à perte et après être exonérés ou rémunérés par l’Etat ? Et qu’en est-il du détaillant qui vend lui aussi à perte, le demi-grossiste ? On est en train de voir, il n’y a pas encore quelque chose de clair sur ces décisions-là et on attend les contrôleurs, les services du commerce pour voir comment s’accorder sur le prix», explique-t-il.
Différer l’application des nouvelles mesures
Notre interlocuteur de poursuivre que cette baisse des prix devait encore attendre afin de permettre aux boutiquiers et autres marchands de vendre aux prix normaux : «Ce qui était prévisible et ce qui était normal c’est qu’il ne fallait pas prendre une mesure dare-dare comme ça ; il fallait au moins donner une date butoir et arriver à cette date-là les prix seront affichés et fixés à tel ou tel endroit, pour vous dire tout simplement que la mesure est prise hâtivement ; donc, c’est normal que ces commerçants réagissent ainsi de cette façon, ils avancent la thèse selon laquelle tant que leurs stocks ne soient pas totalement épuisés, ils ne vont pas revoir les prix. Mais à force de contrôler, et de sanctionner, ils (les petits détaillants) vont finir par lâcher du lest, ça c’est sûr.
Risque de rupture de stocks
Et d’habitude, dans ces genres de situation, on risque d’arriver à une rupture parce que celui qui vend à perte n’est pas encouragé à aller s’approvisionner encore si le prix n’est pas intéressant au niveau des importateurs ou bien des grossistes ; donc, il faut qu’eux les grossistes respectent les prix fixés pour que le demi-grossiste ou le détaillant puisse le faire aussi. Je ne peux pas moi par exemple le demi-grossiste ou le détaillant vendre à perte et aller encore m’approvisionner chez l’importateur et venir encore vendre à perte. Cela signifie que le marché court le risque de devenir un marché noir c’est-à-dire les stocks vont s’épuiser au niveau des détaillants et des demi-grossistes et cela va rester entre les mains du grossiste. Donc, il faut voir comment raccorder tous ces maillons-là pour que la chaine ne soit pas cassée entre ces distributeurs», confie-t-il.
Les constatations de la Direction du Commerce intérieur et saisies
Pour rappel, Omar Diallo Directeur du Commerce Intérieur vient de démarrer ce lundi des opérations de contrôle, de vérification et d’application des nouveaux prix issus des mesures, qui ont été pris par le président de la République concernant la baisse des prix de certaines denrées de première nécessité. Ainsi, selon lui des manquements ont été notés : «Nous avons constaté que sur le riz, l’huile, les prix sont respectés. Par contre sur le sucre, il y a des cas de pratique de prix illicite que nous avons constaté». Par ailleurs, M. Diallo se dit intransigeant par rapport à l’application des mesures sur le terrain. « Nous avons procédé à des saisies notamment sur du sucre, et d’autres produits qui n’ont pas fait l’objet d’un respect des prix. C’est sur le sucre cristal que nous avons constaté le plus de cas de pratique illicite. Les gens sont dans un minimum de 650 à 700 F CFA alors que le prix homologué est à 575 F CFA. Dans ces cas de figure, non seulement, nous verbalisons, mais nous procédons dans le cadre de saisie au retrait de ces produits entre les mains du détenteur. Maintenant, il faut qu’on veille à ce que des sanctions exemplaires leur soient appliquées. Nous avons d’abord une sanction pécuniaire de 100 mille à 200 millions de F CFA, et même des peines privatives de liberté de 1 à 3 mois maximum. La troisième sanction, nous confisquons le gain illicite que vous avez accumulé du fait de l’augmentation du prix. Soit vous payez, soit on vous remet au Procureur de la République», informe-t-il
Mamadou SOW (Stagiaire)