Vivre pour peindre ou peindre pour vivre, la dualité perd son sens conflictuel dans la conception picturale de Ludovic Citte. Entre votre invité people et la peinture, l’idylle est loin d’un feeling mondain, c’est un amour d’enfance qui a mûri avec l’âge. Et de cette aventure est née un sacerdoce qui suinte d’émotions réfléchies, d’engagements assumés. Ludovic n’est pas artiste ex-nihilo. Citoyen du monde, sa peinture part de sa quotidienneté pour apprivoiser l’universel, car chez lui, rien n’est forcé mais tout est coffré dans le syncrétisme humain de la conscience transcendale. Très culturel, ses œuvres atteignent les cimes cultuelles où les destinations, quoique inconnues, conduisent dans la nuit où les mystères traduisent un mysticisme doux qui nous instruisent sur nos êtres intimes. L’art de Ludovic n’est point un rêve utopique mais une science de soi. Mirons-nous dans ses mots picturaux…
Et si vous nous parliez de vous Ludovic Citté et de votre histoire avec la peinture ?
Je m’appelle Ludovic Citté, et la peinture est pour moi un langage qui dépasse les mots, une manière de traduire mes émotions, mes réflexions et mes engagements. Depuis mon plus jeune âge, l’art est ma manière de comprendre le monde et d’y laisser une empreinte. Aujourd’hui, ma pratique artistique est axée sur des thèmes qui me sont chers, comme la préservation de l’environnement, la résilience humaine, la guérison personnelle et collective. À travers mon travail, j’essaie de créer des ponts entre mes racines culturelles et mes expériences de vie, tout en restant profondément connecté à la nature.
Vous peignez depuis l’âge de 5 ans. Comment votre style et votre approche ont-ils évolué au fil des années ?
Mon style a évolué avec le temps, de l’imitation des formes simples que je voyais autour de moi, vers une exploration plus profonde de l’abstraction, du surréalisme et des textures. Au fil du temps, j’ai pris conscience du potentiel de l’art comme vecteur de communication. Au-delà de l’expression de mes émotions personnelles, j’ai découvert sa capacité à véhiculer des messages plus larges, notamment sur les défis écologiques et les réalités sociales, comme les difficultés quotidiennes auxquelles font face les Sénégalais. Aujourd’hui, ma démarche artistique est devenue plus introspective et engagée. J’incorpore des éléments naturels tels que le marc de café et le sable dans mes œuvres, symbolisant ainsi notre connexion à la terre et à la nature tout en gardant une esthétique contemporaine.
Vous vous définissez d’ailleurs comme un « praticien culturel ». Dites-nous-en plus et comment cela se manifeste dans votre travail ?
Se définir comme un praticien culturel, c’est accepter que l’art transcende le simple fait de peindre. Cette approche m’engage dans un dialogue culturel étendu, où j’emploie ma créativité pour examiner et questionner les interactions humaines, les coutumes et les problématiques sociales. Mon œuvre est profondément marquée par ces influences culturelles et par la richesse de mes expériences personnelles. Chaque œuvre devient ainsi un espace de réflexion sur notre rôle dans la société et nos devoirs, tant individuels que collectifs.
Vous dites aussi explorer des thèmes sociaux, politiques et culturels. Pouvez-vous donner des exemples spécifiques de la façon dont ces thèmes apparaissent dans vos œuvres ?
L’actualité nous rappelle sans cesse l’urgence de certaines questions, notamment environnementales. Par exemple, ma toile Destination inconnue illustre cette préoccupation en offrant une réflexion visuelle sur la multiplication des désastres naturels tels que les feux de forêt et les inondations. L’œuvre présente un chemin séparant deux mondes : d’un côté, des arbres ravagés par les flammes, de l’autre, des arbres encore vivants, sous un ciel vibrant évoquant l’immensité de la Voie lactée. Ce contraste symbolise notre choix collectif face à l’avenir de notre planète. A travers mon art, je vise à éveiller les consciences et inciter à l’action, car nous sommes encore trop peu conscients de l’impact de nos choix.
Votre travail est décrit comme transcendant les frontières traditionnelles. Comment mêlez-vous diverses expériences de vie et influences culturelles dans votre art ?
Ma vie a été marquée par des expériences dans différentes cultures et environnements, ce qui a enrichi mon art d’une perspective globale. Je puise mon inspiration tant dans les traditions africaines que dans les courants artistiques européens, intégrant naturellement ces influences variées dans mes créations. Mes voyages et interactions m’ont enseigné à percevoir les différences culturelles non comme des obstacles, mais comme des sources d’enrichissement pour ma démarche artistique. En fusionnant ces expériences, mon art devient un langage universel qui appelle à la connexion entre les êtres humains et avec la nature.
Vous utilisez des matériaux inhabituels comme le marc de café et le sable dans vos peintures. Quelle est la signification de ces choix de matériaux ?
Ces matériaux sont plus que des éléments visuels ; ils portent en eux une symbolique forte. Le marc de café incarne la routine quotidienne et le labeur manuel, tout en symbolisant la résilience : je redonne vie à cette matière habituellement jetée en l’incorporant à mes œuvres. Le sable, lui, évoque le passage du temps et la vulnérabilité de notre planète, tout en soulignant notre lien indéfectible avec la terre. En utilisant ces matières, je veux rappeler que l’art peut être un outil puissant pour réancrer l’humain dans son environnement naturel, tout en invitant à une réflexion sur notre empreinte écologique.
Votre série « Toiles Nocturnes » semble être un projet important. Pouvez-vous nous parler de l’inspiration derrière cette série ?
Toiles Nocturnes est mon dernier projet, une série qui est née d’une méditation sur l’obscurité, tant physique que symbolique. La nuit est un moment où tout semble se figer, mais c’est aussi un espace de transformation et de profonde introspection. Dans cette série, je joue avec les contrastes entre lumière et ombre, pour explorer ce que nous cachons ou révélons à nous-mêmes dans ces moments de solitude nocturne. C’est aussi un hommage à la résilience, à la nature qui continue de lutter, nous nourrir et nous régénérer, car dans l’obscurité, il y a toujours une lueur, une possibilité de renaissance. C’est un appel à la réflexion que je vous invite à découvrir très prochainement lors de ma prochaine exposition du 7 Novembre au 7 Décembre à Hapsatousy – La Maison située dans le quartier des Mamelles.
Comment voyez-vous le rôle de l’art dans la guérison personnelle et collective ?
L’art a un rôle fondamental dans la guérison. Personnellement, la peinture m’a permis de transformer des expériences difficiles en quelque chose de créatif, et j’ai vu à travers mes expositions la capacité de l’art à émouvoir profondément le public. À un niveau collectif, l’art peut créer des espaces où des voix marginalisées ou des histoires oubliées trouvent une résonance. Il permet de connecter des individus autour d’expériences communes, de panser les plaies du passé et d’insuffler de nouvelles perspectives de réflexion et d’action, notamment face aux défis environnementaux et aux disparités sociales.
En tant qu’artiste autodidacte, quels ont été vos plus grands défis et réussites ?
Être autodidacte a été à la fois un défi et une opportunité. Le défi réside dans l’incertitude, car sans cadre académique, on doit constamment se prouver à soi-même et aux autres. Il faut persévérer et débloquer les opportunités par soi-même ce qui est très challengeant. Toutefois, cela m’a aussi donné une grande liberté créative. Je considère mes plus grandes réussites comme étant mes expositions à Londres et Dakar, où j’ai pu toucher un large public avec des œuvres qui parlent non seulement d’art, mais aussi de conscience sociale et environnementale. Ma plus grande fierté réside sans doute dans ma capacité à sensibiliser le public aux causes qui me sont chères à travers mon art.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes artistes qui cherchent à trouver leur voix unique dans le monde de l’art contemporain ?
Je leur dirais de ne pas avoir peur d’explorer et de se tromper. L’art contemporain est un terrain vaste et souvent intimidant, mais c’est justement dans les erreurs et les tentatives que l’on découvre sa véritable voix. Soyez patients, fidèles à vos convictions, et n’ayez pas peur de sortir des sentiers battus, que ce soit par le choix des matériaux ou des thèmes. L’essentiel est de créer à partir d’une place authentique, et de se rappeler que l’art a le pouvoir de transformer non seulement votre propre vie, mais aussi celle des autres. Cultivez votre authenticité. Beaucoup de portes vous seront fermées mais innovez et essayez de réaliser par vous-même vos événements pour vulgariser votre travail. Peu importe le nombre de personnes qui vous soutiennent, juste commencez et n’attendez pas qu’on vous ouvre les portes.
Quels sont vos projets futurs ou les thèmes que vous aimeriez explorer dans votre art à l’avenir ?
À l’avenir, je souhaite approfondir mes explorations sur les enjeux environnementaux. En voyant l’actualité mondiale, avec les catastrophes naturelles qui se multiplient – inondations, incendies – je ressens une urgence de sensibiliser davantage à notre impact sur la planète. Je travaille actuellement sur une série qui examinera les relations entre l’homme et la nature, ainsi que le rôle potentiel des artistes et des citoyens dans la promotion d’un changement concret. Je veux que mon art inspire non seulement à la réflexion, mais aussi à l’action pour un avenir plus durable.
ANNA THIAW