Dans l’une de ses plus célèbres cris de guerre, le président de l’Alliance pour la République (Apr) se proposait de « réduire l’opposition à sa plus simple expression ». En dix ans de règne, Macky Sall n’a pas manqué de réussite dans ses efforts. La preuve par les différentes figures politiques qui peuplent actuellement la coalition Benno Bokk Yaakaar. Cette ambition bute cependant sur un gros obstacle : le Pastef !
L’ambition de « gagner ensemble et gouverner ensemble » lui avait commandé de réunir au sein de la coalition Benno Bokk Yakaar (Bby) la quasi-totalité des courants politiques qui s’étaient opposés au Président Wade en 2012. Sur la base de ce serment d’une gouvernance « collégiale » avec les partis historiques de la gauche et les néolibéraux acquis à sa cause, le Président de la République avait formé un gouvernement « élargi » et procédé à une répartition plutôt correcte des différents postes de responsabilités dans le gouvernement. Le Ps, l’Afp, la Ld, Aj, le Pit, le Fsd/Bj et les autres, avaient ainsi leurs représentants aussi bien dans le gouvernement que dans les directions de structures publiques et autres présidences de conseil d’administration.
Une situation qui avait l’avantage d’isoler le Parti démocratique sénégalais (PDS) qui devait survivre à cette « bipolarisation » imposée par le contexte politique de la seconde alternance. Fort de la solidité et de la force de frappe de ‘’Sa’’ coalition, le président Macky Sall pensait alors pouvoir réduire les activités de l’opposition ou ce qu’il en restait, au port de pancartes et de brassards. Il l’aurait réussi en 2016, si Khalifa Sall n’avait pas décidé de s’émanciper d’un parti socialiste officiellement « soumis » et si El hadj Malick Gackou, numéro 2 de l’Afp, n’avait pas, plus tard, décidé d’arracher son destin politique jusque-là « confié » à Moustapha Niasse.
En cours de route, ces deux personnages seront rejoints par Idrissa Seck dont la rupture, du reste très attendue, avec Benno avait été effective après le fameux casus belli de Mor Ngom : ‘’Muut mba mott’’ ! Ensemble ces quelques rescapés, formaient un bloc plus ou moins compact qui devait jouer les rôles d’une véritable opposition et, faire face au candidat Macky Sall qui, en février 2019, avait tout de même réussi la prouesse historique d’organiser une élection présidentielle sans le Pds dont le candidat avait été exclu et le Ps «officiel » qui s’était volontairement abstenu d’en présenter un. Mais, Tanor, Niasse et Wade ne le savaient sans doute pas : ils venaient d’aménager une place pour un jeune loup inconnu qui n’a que trop vite grandi.
Ousmane Sonko, le survivant désigné
Au lendemain de la présidentielle de 2019, l’opposition qui entre-temps avait repris du poil de la bête, sera renforcée par la posture de l’éternel bourlingueur politique, Idy. Arrivé deuxième à l’élection, il finit par rejoindre la majorité présidentielle où il retrouve des caciques libéraux, des revenants et des opportunistes incolores, sans formation politique reconnu, ni un seul militant derrière eux mais qui, par le jeu des alliances et des amitiés renouvelées parviennent à avoir droit de cité. La formule ‘’Mburok Soow’’ est ainsi lancée, et Macky qui pouvait reprendre son projet qu’il devrait pouvoir réaliser après avec le soutien de la seconde génération de transhumants favorables à son régime. Il pouvait en compter à la pelle et, parmi eux, des figures dont la posture est des plus surprenantes.
La politique, au Sénégal surtout, avec certaines figures, c’est tout ce que l’on ne comprend pas ! Hélas, Macky Sall devra plus tard faire face à un véritable imprévu qui se muera très vite en une insoluble équation. Alors que l’opposition semblait à l’agonie sous son genou, surgit un homme mais surtout un phénomène qui semble « immortel » puisqu’appréhendé comme une philosophie : le phénomène des « Patriotes ». Fervents défenseurs d’un « Projet » qu’ils jugent « angélique » pour ne pas dire « messianique », les « patriotes » parviennent petit à petit à adopter ce jeune inspecteur principal des impôts et domaines, radié de la fonction publique. Ousmane Sonko, contre toute attente, émerge avec une fulgurance inédite. Adulé par les jeunes, il a réussi, seul ou presque, à jouer le rôle de la « plus simple expression de l’opposition ». Et, avec la manière forte, sans ménagement dans ses sorties publiques contre le régime. Certes, aucun instrument de mesure ne permet de déterminer son apport lors des dernières joutes électorales. Mais, si le pouvoir a perdu une grande partie des collectivités territoriales en janvier 2022 et, échappé de justesse à une cohabitation à l’Assemblée nationale en juillet de la même année, c’est en grande partie, grâce à la figure de proue de la politique « antisystème ».
Et, aujourd’hui, s’il est un adversaire qui constitue une véritable menace électorale pour le président Macky Sall, c’est bien lui. Une bonne dose de mauvaise foi permet de le nier mais, le président de Bby lui, semble en être plus que conscient. Si avisé qu’il ne cracherait ni sur une invalidation judiciaire de sa candidature, ni sur l’appoint d’un mystérieux « négociateur » chargé de convaincre le maire de Ziguinchor à surseoir à sa candidature jusqu’en 2029. Robert Bourgi l’a compris : à défaut de l’une ou l’autre de ces deux « impossibilités »… « Tout » est possible, pour dire le moins. En attendant, et à défaut de mettre la main sur Ousmane Sonko derrière lequel une course de fond est engagée depuis trois longues années, les seconds couteaux du Pastef payent le prix de la survie de leur leader.
Aujourd’hui, avec l’arrestation et le placement sous mandat de dépôt de Bassirou Diomaye Faye, le Pastef est amputé de la quasi-totalité de ses membres supérieurs. Secrétaire général de ce parti, le jeune inspecteur des impôts rejoint en prison Fadilou Keïta et Alioune Badara Mboup, respectivement, coordonnateur du ‘’Nemeku Tour’’ et coordonnateur du ‘’Wër Ndombo’’. Avant ces deux membres du bureau politique du parti, Waly Diouf Bodian, membre du cabinet de Sonko, prenait la suite d’El Malick Ndiaye, patron de la communication du Pastef à la sûreté urbaine. Aujourd’hui, ils sont tous deux sous surveillance électronique. Mais, malgré ce « ciblage » le Pastef semble bien résister. Son leader également ; même s’il est sous la menace d’une disqualification avec l’affaire « Prodac » pour laquelle, Mame Mbaye Niang refuse de le lâcher. Mais, Macky Sall lui-même le sait et l’aurait d’ailleurs allégué avec une pensée plutôt métaphysique : s’il y a un survivant désigné dans son « Projet » de départ, il pourrait bien se nommer Ousmane Sonko. Heureusement, le Sénégal est « une authentique démocratie », sinon, « croyez- moi, son sort aurait été réglé depuis longtemps… », confiait récemment le président Sall à nos confrères de l’Express.
Elhadj Mansor Ndiaye