Le gouvernement tunisien tente de calmer la polémique depuis les propos du président Kaïs Saïed tenus le 21 février. Lors d’un Conseil national de sécurité, il a lancé une violente charge vis-à-vis des immigrants clandestins d’Afrique subsaharienne installés dans le pays. Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, dément tout propos « raciste » du président tunisien.
Mardi 21 février, le président tunisien Kaïs Saïed a parlé lors d’un Conseil national de sécurité de « masses incontrôlées » venues du Sud, de « hordes de migrants clandestins » qui ont pour but de transformer la Tunisie en « pays africain seulement » et de l’arracher « aux nations arabo-musulmanes ». Il s’est emporté contre « la violence, les crimes et les actes inacceptables » dont l’immigration serait la source.
Ces déclarations ont suscité un tollé dans le pays et à l’international. Joint par téléphone, Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères de la Tunisie, dément tout propos raciste du président.
RFI : Plusieurs dizaines d’organisations ont dénoncé un discours raciste et haineux du président Kaïs Saïed. Le président de la Commission de l’Union africaine a condamné ce qu’il appelle des « déclarations choquantes ». Que répondez-vous à ces critiques ?
Nabil Ammar : D’abord, je les rejette. Ces critiques, je les rejette. Nous avons déjà répondu au communiqué fait par l’Union africaine. Il est étonnant, surtout au lendemain d’une rencontre qui était très positive avec le groupe des ambassadeurs africains à Tunis, où nous avons parlé sérieusement et en toute responsabilité, donc j’ai vraiment été très étonné ce matin de voir ce qui a été publié. En ce qui concerne des discours racistes et haineux, pourquoi ce discours-là, quand il est tenu par d’autres pays que la Tunisie, personne ne le conteste, personne ne le critique ?
Il n’y a aucun discours haineux, le fait d’avoir parlé ou évoqué un rapport qui parle de la modification de la composition ethnique, c’est une des données parmi beaucoup d’autres qui explique les mesures qui doivent être prises. Quand un pays dit : il faut lutter contre la migration illégale et éviter une situation qui va empirer, avec toutes sortes de menaces, où est l’anormalité dans cela ? Pourquoi la Tunisie est-elle mise aujourd’hui sur le banc à cause de mesures qui sont dans l’intérêt non seulement des Tunisiens et de la Tunisie, mais aussi des migrants, qu’ils soient légaux ou illégaux ? Alors, je vous dirais aussi qu’autour de tout ça gravitent toutes sortes d’intérêts que tout le monde connaît : mafieux, politiciens, opportunistes, etc. Tout ça fait qu’ils ont intérêt à envenimer la situation et à créer une situation dangereuse.
Le chef de l’État a parlé quand même de « masses incontrôlées », de hordes de migrants clandestins, qui auraient pour but de transformer la Tunisie en pays africain, de l’arracher aux nations arabo-musulmanes…
Ce sont des conséquences possibles. Il n’a jamais dit que c’était ce qui était en cours, mais ce sont des conséquences possibles si on ne prend pas la situation sérieusement. Est-ce qu’il y a un pays au monde qui accepte qu’il y ait un flux de plus en plus important de migrants illégaux ? Si vous en connaissez un, merci de me le citer. Alors pourquoi quand la Tunisie dit ça, elle doit être accusée de tous les maux de la Terre ?
Vous savez, c’est non seulement injuste, mais surtout, c’est irresponsable. C’est irresponsable ! S’il y a d’autres intérêts, et on les comprend très bien, vous savez – je ne vais pas vous les citer parce que tout le monde les connaît – s’il y a d’autres intérêts derrière ça, alors c’est une autre paire de manches !
Donc, vous maintenez, confirmez les propos du président Kaïs Saïed ?
Les propos du président Kaïs Saïed n’ont rien d’injustifié et d’anormal, n’ont rien d’un discours haineux. Mais ça va faire sourire tout le monde de dire que la Tunisie est un pays raciste, ça va faire sourire le monde, y compris sur le continent africain. Nous-mêmes, nous n’avons jamais abrité sur notre sol aucune… j’allais dire, aucun massacre ethnique ou autre qui a pu se passer soit sur le continent, soit au nord du continent.
En tout cas, monsieur le ministre, suite à ces discours, on note une certaine panique parmi les Subsahariens de Tunisie. L’ambassade de Côte d’Ivoire, par exemple, a reçu des dizaines de ressortissants souhaitant quitter le pays, tout cela après le discours du chef de l’État. Que répondez-vous à cette vague d’inquiétude ?
Ce n’est pas après le discours du chef de l’État, je vous dis qu’il y a beaucoup d’intérêts qui sont en jeu, beaucoup de groupes mafieux, etc., qui ont intérêt à créer cette situation de chaos et de panique et c’est une attitude qui est irresponsable. Quand j’ai discuté avec les ambassadeurs africains, ils ont tous compris à la fin. Non seulement c’était très productif comme réunion, mais nous avons fait une photo ensemble où on se tenait tous la main parce que nous voulons une Afrique, comme l’ont voulu les pères fondateurs, qui soit une Afrique indépendante et responsable et solidaire, c’est ça que nous voulons.
Donc, on a une manipulation derrière cette affaire ?
Mais bien sûr, une manipulation multiple. Il y a beaucoup de gens qui font leur beurre avec ça, y compris la presse. Alors ça peut être des individus, des groupes de pression, des groupes mafieux, mais tout ce beau monde est dérangé par le fait qu’il faut mettre fin à leur commerce macabre. Vous savez très bien que les victimes finales, c’est les migrants. Qu’est-ce qu’on veut ? On veut parquer ces gens-là en Tunisie et il faut que les Tunisiens se taisent ? Et il faut qu’il y ait des tensions, que ces tensions peuvent dégénérer ? Et après, on va dire quoi ?
Concrètement, sur le terrain, ça veut dire quelles actions en fait ?
Il a aussi dit, le président Saïed, dans tout le respect des conventions et des lois et de la protection des droits de tout le monde, légaux et illégaux. Les légaux, ils sont les bienvenus, on en veut plus, nous n’avons pas de problèmes. Les illégaux, il faut qu’ils retournent, mais dans le cadre du respect des législations et de leur dignité, c’est ça qui a été dit. Pourquoi est-ce qu’on prend un élément parmi une dizaine d’éléments et puis on le met comme ça et on commence à broder dessus ? Ça fait vivre qui ça ? C’est dans l’intérêt de qui ça ? Le fait que vous ayez des gens incontrôlés parqués en Tunisie, c’est dans l’intérêt de qui ? Je suis certain que ceux qui m’entendent, ceux qui sont visés savent très bien qui ils sont.