Le chef de l’humanitaire de l’ONU, Martin Griffiths, a réclamé lundi le retour des femmes afghanes dans l’humanitaire, jugeant leur rôle central et essentiel dans ce secteur. Lors d’une conférence de presse à New York, le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux affaires humanitaires a décrit sa visite la semaine dernière en Afghanistan avec trois représentants d’organisations partenaires, durant laquelle les autorités de facto talibanes leur ont assuré que de nouvelles directives pourraient ré-autoriser prochainement le travail des femmes dans l’humanitaire.
Durant cette visite de quatre jours, Martin Griffiths dit avoir rencontré des partenaires humanitaires présents dans le pays, mais surtout les autorités de facto pour discuter de la récente exclusion des femmes des opérations humanitaires en Afghanistan. Le chef de l’humanitaire de l’ONU s’est ainsi entretenu avec neuf personnalités du gouvernement, dont les ministres des Affaires étrangères, de l’Economie, de l’Intérieur et deux Premier ministres adjoints.
Rappelant que le ministre afghan de la Santé publique avait déjà, au lendemain des décrets du 24 décembre, accordé des exceptions à l’exclusion des femmes du secteur de la santé et de l’éducation, Martin Griffiths dit s’être appuyé sur ces précédents pour exprimer son opposition à ce bannissement des femmes du secteur humanitaire et demander de nouvelles exceptions. Il a déclaré à la presse que durant toutes ces rencontres, les responsables afghans lui avaient assuré que « des directives étaient en préparation qui permettraient leur retour en fonction dans l’humanitaire ».
Faire passer un message clair aux Talibans
« Pour avoir travaillé avec les Talibans depuis deux à trois décennies, ce n’est pas la première fois qu’ils me demandent d’être patients », a confié Martin Griffiths, ajoutant que leur décision était encore matière à spéculations.
« Attendons de voir si ces directives voient le jour, et si elles sont bénéfiques. Attendons de voir quelle place elles donnent au travail des femmes dans les opérations humanitaires », a-t-il résumé. « De notre point de vue, nous avons clairement fait passer le message que les femmes ont un rôle central et essentiel dans le secteur humanitaire, en plus des droits qui leurs reviennent et qu’il nous faut les voir revenir au travail ».
Des discriminations qui coûteront des vies humaines
Pour sa part, Sofia Sprechman Sineiro, Secrétaire générale de l’organisation humanitaire Care International, a souligné que les deux tiers de la population afghane, soit 28 millions de personnes, ont grand besoin d’aide, alors que six millions de personnes sont au bord de la famine.
Déplorant les résultats de trois années de sécheresse, de déclin économique, ajoutés aux effets de 40 ans de conflits, elle rappelé que les Afghans endurent aujourd’hui l’hiver le plus froid des quinze dernières années, avec des températures pouvant descendre à moins 29 degrés Celsius.
Sofia Sprechman Sineiro, décrivant sa visite d’une clinique de l’UNICEF proche de Kaboul, ouverte grâce à l’exception accordée par les Talibans au travail des femmes dans le domaine de la santé, dit avoir appris par le personnel que 15% des enfants soignés dans ce centre souffrent de malnutrition aigüe. « C’est tout simplement inacceptable », a-t-elle déclaré. « Ces services sont l’épine dorsale de la réponse humanitaire en Afghanistan où les ONG effectuent 70% de l’assistance à la population. Qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ce point : lier les mains des ONG en interdisant aux femmes de prodiguer des soins vitaux à d’autres femmes coûtera des vies humaines ».
200.000 filles sont toujours à l’école
Omar Abdy, Directeur adjoint des programmes de l’UNICEF, a ajouté que la délégation avait aussi demandé l’inclusion complète des femmes dans la vie publique, et particulièrement dans l’enseignement secondaire.
« Les chiffres sont alarmants », a-t-il déclaré. « Plus d’un million de filles qui auraient dû suivre l’enseignement secondaire ont été privées d’éducation depuis trois ans, d’abord en raison de la Covid-19, puis, depuis septembre 2021, à cause de l’exclusion des écoles secondaires. Enfin l’annonce, le 20 décembre de l’interdiction des femmes dans l’enseignement supérieur a brisé leurs espoirs de retrouver un enseignement ». Il a pourtant reconnu quelques signes positifs, comme le fait que 200.000 filles continuent d’aller à l’école dans 12 provinces ou que les enseignantes du secondaire continuent de recevoir leurs salaires. Omar Abdy a reçu l’assurance par un responsable afghan que le gouvernement taliban « n’a rien contre l’éducation des filles, et que les écoles rouvriront dès la promulgation des nouvelles directives ».