‘’Dur dur d’être bébé’’, ces doux mots qui ont, dans un passé vocal, rythmé un chant largement dansé, sonneront vrais chez votre invité people du jour. Si on vous dit Modou, vous ne le reconnaîtrez pas, mais si on vous dit Touré, beaucoup penseront aux mythiques Touré Kunda, du nom de ses voix symphoniques venus de Casamance et qui ont guidé la musique sénégalaise dans les voies hexagonales de France et du monde, pour faire court. Modou Touré, fils de Ousmane dudit groupe, a de qui tenir. Musicalement, vocalement ! Et pas que ! Car le legs qu’il porte par son nom, le suit comme un sacerdoce qui, certes, ne fait pas de lui un pâle copiste du père, mais non plus un parricide musical. Et c’est cette double dimension de celui qui ne pas tout prendre ni tout rejeter du père qui définit notre artiste invité, dont le timbre vocal, tel un rossignol, berce le flegme british, tout en remplissant de nostalgie les mélomanes africains qui, mordicus, le disent fils à papa et pas dans le sens usité. Suivez mon regard. Bref, tout Touré n’est pas Kunda, et Modou assume ses origines, s’en inspire même mais en vivant dans son monde, son époque et avec ses héros musicaux qui, outre ses parents, se listent à foison dans la galaxie musicale.
Bonne lecture….
Présentez-vous à nos lecteurs
Je m’appelle Modou Touré, fils d’Ousmane des Touré Kunda. Je suis chanteur, guitariste et percussionniste. Je vis en Angleterre, à Londres.
Comment-vous est venue l’idée de faire de la musique ? Est-ce inné ?
Quand on vit dans une famille de musiciens, on aura tendance à s’y mettre. En plus, pour beaucoup d’entre nous, nos parents sont souvent nos héros, ainsi on va vouloir suivre leurs traces, surtout quand on connaît le succès et le statut de star qu’avait mon père. On va vouloir être comme lui. Cela dit, il y a en chacun de nous des prédispositions, des gènes qui font qu’on va plus pencher sur ce que faisaient nos parents ou pas. Car, dans la famille, j’ai des frères, des sœurs, cousins ou cousines qui s’intéressent à la musique, la jouent même et d’autres pas du tout. C’est aussi une histoire de rencontres avec les bonnes personnes pour susciter et développer ce talent inné. Pour cela, je peux citer l’ex saxophoniste du mythique groupe Xalam, Assoumana Diatta, dit Kein.
Vous considérez-vous comme héritier du groupe Touré Kunda ?
Héritier !? (Sourire) Un bien grand mot pour des stars que je ne suis pas encore. Il est évident que beaucoup me font remarquer que j’ai la même intonation, le même timbre de voix que mon père, que j’ai hérité sa voix et cela me fait prendre conscience que je porte ce legs. C’est un lourd héritage que j’essaie de porter tant bien que mal. Dans le monde de la musique, bien des enfants de musiciens ont produit de bonnes choses. Je pense à Ziggy Marley, Sean Lennon, David Hallyday, Wally Seck. Chacun d’entre eux porte avec fierté le nom de ses parents. Mais il faut être lucide, jamais ils n’auront ce charisme, cette force et ce talent créatif et original de leurs parents. Pourtant, ce sont parfois d’extraordinaires artistes. Finalement, je crois que je porte l’héritage des Touré Kunda dans la mesure qu’on me rattache à ce groupe, que je tente tout pour maintenir cette flamme, cette créativité et pérenniser leur nom, leur musique. Il n’est pas rare en live de reprendre certains de leurs morceaux et d’échanger nos expériences avec des cousins qui font de la musique comme par exemple Daby Touré
Que vous inspire ce groupe mythique ?
Ah ! Touré Kunda m’inspire beaucoup, pour ne pas dire tout. J’aimerais atteindre leur objectif d’être placé au rang de star de la musique africaine, au rang de référence, pour avoir été parmi les meilleurs et premiers à avoir un disque d’or en France. C’est inspirant et surtout motivant d’avoir atteint un tel niveau. C’est ce que j’essaie de faire, même si ce n’est plus évident en ces temps de réalité virtuelle, de téléchargement MP3 ou streaming. On est presque dans l’impossibilité de vendre des disques-objet en vinyle, cassettes ou CD en grande quantité.
Vous avez un style musical assez particulier, aidez-nous à le définir.
Très bonne question qui renvoie d’ailleurs un peu à la précédente. Même si je vibre aux sons des Touré Kunda, même si j’essaie d’avoir ce même talent, on n’est pas de la même génération, on n’a pas aimé les mêmes musiques, vécu les mêmes expériences. Et forcément cela influe dans ma manière de faire de la musique. Dans mon apprentissage aussi, j’ai rencontré d’autres musiciens qui laisseront certainement, même si c’est à des degrés moindres, des influences sur ma musique. Car avant d’avoir été artiste solo, j’ai joué dans différents groupes avec d’autres artistes, rencontré d’autres sensibilités. Cela donne une certaine particularité à ma musique. En plus, j’essaie de ne pas, comme pour utiliser le langage informatique, faire du copié-collé.
Votre voix vous l’avez travaillée ?
Au début de ma carrière, je ne faisais aucun effort, je chantais naturellement, en imitant mon père et d’autres chanteurs. J’avais déjà cette voix que certains disaient extraordinaire. Mais quand on aspire à être artiste professionnel, on est obligé de faire des efforts, de se surpasser. Par ailleurs, quand on entre en studio, on constate vite que travailler sa voix est nécessaire. Apprendre à maîtriser les gammes, à jouer dans d’autres registres. Mais cela je le faisais depuis le début…j’ai toujours cherché à perfectionner mon chant.
Vous êtes basé en Angleterre, comment trouvez-vous la musique d’ici ?
Bon, on ne va pas cracher dans la soupe ou « xëp suuf si ndap li » comme on dit, mais le mbalax étouffe les autres musiques. Depuis bien des années, la musique la plus populaire est le mbalax et c’est tout à fait normal. C’est notre musique à nous et j’en suis fier. Surtout avec Youssou Ndour qui a su porter haut son étendard. Tout le monde sait que le mbalax pur et dur ne peut pas trop s’exporter. D’ailleurs, même les musiciens ici en sont conscients. C’est pourquoi depuis quelques années, ils introduisent de nouvelles sonorités ou rythmes dans le mbalax. On mélange le naija, le zouk, le reggae ou on fait des « covers » d’autres musiques à la sauce mbalax. Par ailleurs, je remarque qu’il n’y a plus beaucoup de musiciens, d’instrumentistes de la maestria de Habib Faye, Lamine Faye, Cheikh Tidiane Tall, j’en passe. La musique salsa a perdu ses ambassadeurs aussi, Rudy Gomis, Pape Fall. Il n’y a plus beaucoup de concerts et les talents nouveaux n’ont plus beaucoup d’espaces d’expression. Tout a changé. Néanmoins, les nouvelles plateformes d’expression artistique offrent aussi d’autres possibilités. Il suffit de s’adapter et de savoir comment profiter des nouvelles technologies de communication pour se faire connaître dans ce monde de rude concurrence.
D’ailleurs, pourquoi le choix de rester à l’étranger ?
J’ y suis allé pour la toute première fois en 2006 et c’était dans le cadre d’un festival à Liverpool avec mon groupe Melokaan Folk Group du guitariste Ndoffène Diouf, malheureusement sans lui et avec Ahmed Ndao, un musicien et scénariste aussi. J’ai découvert un autre monde, un pays développé offrant toutes les opportunités pour vivre décemment sans pratiquer la politique de » la main-tendue ». On pouvait travailler et faire de la musique en parallèle. C’est certes d’allier les deux, mais il existe une garantie d’évoluer à l’aise, en toute liberté, sans contraintes sociales aussi. L’Angleterre est le pays de la musique avec des lieux de spectacle partout, les bars, les pubs, des évènements, concerts et festivals durant presque toute l’année. En plus c’est un très beau pays. J’en suis tombé amoureux. J’ai finalement choisi d’y rester.
Il est évident que la musique que je fais n’est pas aussi populaire que le mbalax, même si ma source est bien sénégalaise avec des rythmes et vibrations du pays résumés sous le vocable Afro music. On a du mal à être populaire actuellement. Pourtant, les Touré Kunda l’étaient mais à une époque où il n’y avait pas l’hégémonie du mbalax…tous les styles avaient leur place, les Xalam, Baobab, Touré Kunda Ismaël Lô, Baba Maal pouvaient tirer leur épingle du jeu. Finalement il m’est apparu que Londres offrait toutes les chances d’exprimer mon art, d’en vivre ou de tirer le maximum de profit de ma musique comme métier.
Des projets en vue ?
Je suis en train de préparer mon prochain album ; ce sera pour l’année prochaine. Et naturellement nous suivront la promotion, les concerts et festivals que ça soit ici ou en Europe. J’ai déjà des propositions allant dans ce sens.
Présentement je suis au Sénégal dans le cadre du Festival Métissons à Saint-Louis. Et je vais en profiter pour faire mes vacances, voir la famille, les amis et me ressourcer. Ce qui est en soi très important. Car il ne faut jamais perdre ses racines. D’ailleurs cela faisait longtemps que je n’étais pas venu du fait de la COVID 19 et ses mesures contraignantes. Mais, quand on est musicien, on est rarement en vacances. C’est un métier, mais aussi une passion qui occupe la plus grande part de mes loisirs. J’en profite pour dire à mes compatriotes qu’on a un beau pays aussi qu’il faut tout faire pour préserver la paix et la convivialité qui y règnent. D’autant plus qu’on parle de gaz et de pétrole à venir.
ANNA THIAW