L’heure est grave et le Sénégal a besoin de la conjugaison de toutes les forces vives du pays pour casser la chaine de transmission du virus de la Covid-19 et sauver surtout des vies humaines. Tel est résumé le cri de cœur du Pr. Khadiyatoulah Fall, Chercheur, membre émérite du Centre d’Excellence interdisciplinaire et interuniversitaire CELAT au Québec. Le Professeur Fall est aussi Titulaire de chaire de Recherches CERII à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il agit présentement comme Conseiller scientifique et Stratégique dans la mise en place d’une Chaire conjointe Québec-France sur les enjeux contemporains de la Liberté d’expression. Le Professeur Fall vient d’ailleurs de publier aux Presses de l’Université de Laval, l’ouvrage sur « Jidahisme, radicalisation et Islamophobie en débats ». Entretien exclusif !
Professeur, vous vivez au Québec où vous enseignez depuis bientôt une trentaine d’années, quel est votre avis sur la situation que le monde vit par rapport à l’épidémie de la Covid -19, singulièrement le Sénégal ?
Notre pays, à l’instar du monde entier est entrain de vivre une situation très difficile. Et il est important que tout Sénégalais, tout patriote là où il se trouve, apporte sa contribution pour l’éradication de cette pandémie. Les contributions peuvent être de plusieurs natures : ce sont des idées, des mobilisations de terrain, des soutiens financiers, des interpellations de nos dirigeants, des suggestions d’actions innovantes sur le terrain, des rappels à l’ordre, des interpellations aux organismes internationaux pour des vaccins et une solidarité internationale pour des actions rapides etc.
Le combat est difficile mais si nous nous mettons tous ensemble, nous pouvons nous en sortir. Je suis sûr que si nous mettons nos énergies ensemble, le patriotisme et nos idées, nous pouvons y parvenir.
Pour vous, Professeur, quels doivent être les stratégies ou les moyens de riposte face à cette pandémie au Sénégal ?
Nous avons une obligation de survie et pour cela nous devons avoir confiance en notre société. Et que des actions, des gestes, des discours soient portés par le Gouvernement et des Citoyens experts et de crédibilité, pour reconstruire la confiance chez la population fortement éprouvée. Et construire une confiance, c’est bien analyser la force même de la pandémie pour ne pas promettre ce qui ne peut immédiatement se réaliser. Construire donc la confiance dans le parler vrai et clair.
Et à ce niveau comment apprécier vous la communication de l’Etat par rapport à cette crise ?
Les récentes sorties du Président de la République pour évaluer ce qui se passe dans les hôpitaux, pour constater les failles et chercher des solutions aux défis urgents, pour féliciter ceux et celles qui sont au front, pour montrer l’empathie sur le terrain aux malades, tout cela participe à la construction de la confiance en l’Etat et au système. La Covid est la plus mortelle que jamais vu. Elle se déploie et phagocyte. Son explosion est peut-être due à des négligences à différents niveaux et par différents acteurs. Le temps viendra de juger les responsabilités plus tard. Est-ce une polémique productive aujourd’hui de situer les responsabilités de cette explosion ? Nous ferons ce débat au moment opportun. Aujourd’hui, les accusations ou félicitations, si elles ont lieu, doivent porter sur l’ici et maintenant, sur les actes performatifs, c’est-à-dire qui produisent effets rapides sur l’inaction, les erreurs de gestion et de communication, sur l’agnotologie, du délit des fausses croyances pour détourner les citoyens de l’adhésion au progrès de la médecine anti covid.
Donc à votre avis, Professeur, la communication de l’Etat bute sur des forces anti-covid qui développent de fausses croyances pour décourager les populations à se vacciner. A quel but ?
Absolument ! Ces forces cherchent à décourager les populations en développant toute une science de destruction basée sur le mensonge, la rumeur et de fausses croyances. C’est cela la science dite de l’agnotologie. Et pour le contrer, il nous faut des contributions, des actions, des mots et des paroles qui poussent à résister et à installer dans l’imaginaire d’une nation qui peut s’en sortir. Savoir que l’Institut Pasteur avance dans la production d’un vaccin , voir le Président Sall rencontrer les chercheurs de cet institut et leur dire qu’il valeur donner les moyens d’aller plus vite, cela redonne l’espoir .Montrer de bonnes pratiques et de bons comportements d’application des mesures barrières par les citoyens responsables, faire ressortir des mobilisations exemplaires, partout où elles ont lieu pour freiner la propagation du virus, cela reconstruit la confiance. Sans la confiance reconstruite sur du vrai et du réalisable, sur le pragmatisme associé à la science et la Foi, sur la responsabilité individuelle et collective.
Votre appréciation sur la politisation que certains font de cette pandémie ?
Il faut éviter de politiser le débat même s’il est difficile au débat de ne pas être politique. On se rend compte que la gestion pandémique a été un des facteurs de la défaite électorale de Trump. Les leaders politiques qui sont entrain de réussir, meurent d’envie d’aller affronter les suffrages des urnes. La bonne gestion de la crise et de l’espoir dans la relance, identifieront les leaders de demain.
Professeur, le Sénégal est un pays profondément religieux et vous êtes aussi un acteur de la science islamique. Que pensez-vous de la cohabitation en politique et réligion ?
Pour dire quelque chose sur le religieux, il est impératif qu’une sage, une lucide, une responsable concertation ait lieu entre le scientifique, le politique et le religieux. Le Coran est assez clair sur ce qui s’impose aux croyants en situation de pandémie ; et le texte sacré nous impose d’asseoir les conditions nécessaires pour préserver la vie. On peut comprendre cependant les sensibilités actuelles des croyants portées par l’angoisse, par l’émotion qui poussent à chercher refuge auprès du Créateur. L’islam est une religion performative. Le croire est intérieur et extérieur. Et ces moments de rassemblements collectifs où l’on invoque Allah et les grands Saints de la religion sont difficilement détachables de la croyance. Alors un débat ne peut ne pas manquer sur les recommandations raisonnables pour permettre certaines pratiques. Mais cette liberté religieuse des pratiques a des limites qu’impose la sécurité sanitaire collective. Et il revient aux spécialistes de la santé, aux scientifiques, de bien informer les Autorités politiques sur les possibilités et les limites. Et en définitive il revient à l’Etat de décider. Personnellement, je suis contre les entraves à la liberté de culte. Cependant je suis sensible à la Charia en situation pandémique et il ya une jurisprudence claire en Islam. Si les grands rassemblements religieux doivent se tenir, cela doit être encadré par des contraintes, une vigilance, des mesures de protection hautement supérieures à celles de l’année dernière.
Propos recueillis par Djiby GUISSE