Le Sénégal est toujours confronté à une conception de l’autorité. Mais chacun a le droit et même le devoir d’en défendre et d’en proposer un modèle fondé sur la nature sociale et la Loi surtout quand elle est transgressée. Parfois, il est salutaire qu’une voix se lève pour dire Non. C’est le droit de refus ou à l’objection de conscience. Le jeune Juge Ibrahima Hamidou Dème en a usé. Ce n’est ni une faute, ni un délit. C’est un acte de foi et de patriotisme. Les esprits avertis saluent son courage à l’applaudimètre.
Toute communauté a besoin d’une autorité qui la régisse et c’est l’une des raisons d’être d’Institutions comme le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) qui assiste le Chef de l’Etat dans sa fonction de garant de l’indépendance de la Justice. Il garantit la vie droite de la communauté, mais, précise bien un Juriste, « sans se substituer à la libre activité, mais en la disciplinant et en l’orientant, dans le respect et la tutelle de l’indépendance des sujets individuels et sociaux, vers la réalisation du bien commun ».
Son sujet est le peuple, considéré comme détenteur de la souveraineté. Sous diverses formes, ce peuple transfère l’exercice de sa souveraineté à ceux qu’il élit. Mais il la fait valoir en contrôlant l’action des gouvernants et en les remplaçant s’ils ne remplissent pas leurs fonctions de manière satisfaisante et conforme aux normes. Aucun membre d’une Institution judiciaire n’est obligé, en conscience, de se soumettre à des actes et méthodes s’ils sont contraires aux exigences de l’ordre moral et aux normes. Au cas échéant, ils le placent droit face à de dramatiques problèmes de conscience. Si un justicier est appelé à collaborer à des actions non conformes aux normes et à la Loi, il a l’obligation de s’y refuser ou de se démettre. Ce refus est un devoir moral. C’est aussi un droit fondamental que la loi civile reconnait et protège.
Une chose doit donc être claire : le justicier qui refuse ou se démet en recourant à l’objection de conscience, est totalement et entièrement exempt non seulement de sanctions pénales, mais encore de quelque dommage disciplinaire que ce soit. Sinon, ce serait de l’autoritarisme excessif.
Ibrahima Hamidou Dème : l’éthique en bandoulière
Pour un Magistrat ou simplement un homme de droit, c’est un devoir de conscience de ne pas collaborer à de pratiques qui contrastent avec les normes. Ibrahima Hamidou Dème l’a assumé. Le cœur meurtri et la mort dans l’âme, il s’est vu obligé, par éthique, de poser un acte inopiné et salué à l’applaudimètre par la Nation. Pourtant, Dieu sait qu’Il y a dans les Cours et Tribunaux énormément, d’autres cas Ibrahima Hamidou Dème qui, soit par veulerie, par crainte de représailles, de réprimandes, ou de blâmes, gardent le silence, se claquemurent et s’accommodent de méthodes qui heurtent le bon sens ou la morale. Et avec la marche du temps, le repentir silencieux finit par ankyloser leurs conceptions du droit, des normes et de l’autorité.
Qu’ils soient honnêtes ! Dans le monde du Droit, aucun justicier ne doit se soustraire à la responsabilité morale des actes accomplis. Se taire ou refuser de se démettre devant des forfaits peu glorieux implique la responsabilité morale devant soi, devant le peuple et devant Dieu si on croit en Lui. Le Sénégal a un Pouvoir Exécutif partisan ! Les régimes qui se sont succédé s’engloutissent tous dans les gouffres empestés de l’esprit partisan. Et c’est hideux que dans le jeu politique, les prêcheurs de Bonne Parole deviennent pires que des bourreaux dès qu’ils accèdent au pouvoir.
Le droit naturel de résister
Reconnaitre que le droit naturel fonde et limite le droit positif, signifie admettre qu’il est impérieux, impératif et légitime de résister à l’autorité par le refus ou la démission dans le cas où celle-ci viole les principes du droit naturel. Saint –Thomas d’Aquin l’enseigne. « On n’est tenu d’obéir et de suivre que dans la mesure requise par un ordre fondé en Justice ». Et combien de Justiciers dans ce pays obéissent à des règles ou exécutent des directives, instructions ou injonctions sous cagoule alors qu’ils sont conscients qu’elles sont hors normes ?
Le Magistrat Ibrahima Hamidou Dème a posé un acte exemplaire. Ce n’est ni de la défiance, ni de la folie, mais l’affirmation de la légitimité d’une vision juste contre laquelle l’autorité politique, prise la main dans le sac, n’a rien faire ni dire si ce n’est recourir à un prétendu tribunal des pairs.
Ce Conseil Supérieur de la Magistrature devrait d’ailleurs être arraché de l’autorité politique partisane. Etre Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature et Chef de parti politique sont un cumul qui fait désordre dans la République !
Le Piroguier