Au total, au moins dix personnes seraient mortes durant les manifestations et près de 600 ont été blessées. Tout est parti de l’arrestation de l’opposant politique Ousmane Sonko par le GIGN local. Pressenti comme un concurrent potentiel au président Macky Sall – en poste depuis neuf ans – pour les élections de 2024, son interpellation a déclenché une vague de contestations dans tout le pays, alors que la dégradation des conditions de vie s’accentue depuis, au moins, le début de la pandémie. Face à cette situation et la violence des manifestations, l’ONG Amnesty International se dit très préoccupée.
Depuis plusieurs années déjà, le Sénégal possède un arsenal complet de grenades lacrymogènes made in France. Deux marques, qui équipent aussi les forces de l’ordre tricolores, se partagent le marché. D’un côté, l’entreprise Alsetex du groupe Etienne-Lacroix fournit des grenades CM6, bien connues des manifestants français depuis plus d’une vingtaine d’années. Une fois lancée, l’arme libère six palets en plastique noir contenant l’agent actif lacrymal qui vont rouler aléatoirement dans la foule et dégage une fumée sur une grande surface, environ 800 mètres carrés. Les forces de l’ordre sénégalaises utilisent même des modèles fabriqués en 2020, preuve que des livraisons récentes ont eu lieu. En plus des CM6, les polices locales manient également ses cousines que sont les CM3 et CM4, des grenades plus petites qui libèrent respectivement trois et quatre palets.
Alsetex partage le marché des lacrymos avec Nobel Sport Sécurité. Cette entreprise, dont le siège social est basé dans le 8ème arrondissement de Paris, fournit les policiers sénégalais avec des grenades MP7, PLMP 7B et 7C utilisées aussi en France depuis de longues années – notamment lors des opérations d’évacuation de Notre-Dame-des-Landes.
Visibles lors des affrontements, des grenades GM2L de Alsetex ont été également tirées sur la population. Celle-ci est bien connue en France pour avoir remplacé la GLI-F4, l’arme qui avait blessé 33 personnes durant le mouvement des Gilets jaunes – dont 5 mains arrachées. Sa successeuse est tout aussi dangereuse : avec 165 décibels à cinq mètres, elle surpasse le bruit d’un avion au décollage et dépasse le seuil de douleur sonore. Si elle est ramassée ou qu’elle explose contre un manifestant, elle peut provoquer de graves mutilations sur des membres du corps. La GM2L est classée en France comme arme de catégorie A2 qui correspond à du « matériel de guerre ».
Ces grenades sont jetées directement à la main ou à l’aide d’un lanceur. Pour ces derniers, la police sénégalaise utilise des modèles hexagonaux dont des lanceurs Cougar et Cougar Multilight, également produits par l’entreprise Alsetex. Ils permettent le tir à 50, 100 ou 200 mètres. Si elle est utilisée en tir tendu, en visant directement une personne, cette arme peut provoquer de graves blessures. Le 16 novembre 2019, un gilet jaune a perdu son oeil de cette façon Place d’Italie à Paris.
La compagnie Alsetex a un second modèle de Cougar : le Cougar 12. Il s’agit de 12 lanceurs Cougar montés sur un seul véhicule, capable de tirer 12 grenades simultanément. Selon nos informations, le Cougar 12 est présent au Sénégal depuis au moins 2018. Il a notamment été utilisé le 8 mars à Dakar, une des grosses journées de mobilisation.
Alors que la police et la gendarmerie ont tiré à balles réelles durant ces manifestations, des Sénégalais ont aussi été blessés via des armes en théorie non-létales. StreetPress a découvert que les forces de l’ordre locales ont utilisé des balles en caoutchouc à calibre 12. Des munitions françaises. Les douilles ressemblent à celles que l’on trouve dans nos forêts, tirées par les chasseurs. Aucune autre douille de ce calibre n’a été observée au Sénégal. Des images transmises par le photographe Thibaut Piel et le journaliste Tom Becques confirment cette utilisation.