En 2014, le Chef de l’Etat Macky Sall avait instruit de réserver 15% de la commande publique aux artisans sénégalais. Mais cette recommandation du président de la république peine à être appliquée. Selon Papa Hamady Ndao, Directeur de l’APDA, les 15% de la commande publique ne sont pas respectés. Les collectivités territoriales préfèrent commander des meubles de l’extérieur au détriment de ceux de nos artisans. Toutefois, les artisans sénégalais ont bénéficié de marchés publics évalués à plus de 2 milliards de FCFA.
Pouvez-vous nous parler de l’APDA et décliner ses missions ?
L’Agence pour la promotion et le développement de l’artisanat (APDA) a été créée en 2002 par le Chef de l’Etat de l’époque dans un contexte d’agitation des acteurs. Au sortir des Assises de l’artisanat qui avaient émis des recommandations fortes au chef de l’Etat de la création d’une Agence d’exécution. Puisqu’à l’époque il n’y avait pas de ministre dédié à l’Artisanat. Et, les artisans avaient besoin d’une Institution qui pouvait agir avec beaucoup plus de célérité, beaucoup plus de rapidité à l’encontre de leurs préoccupations. C’est sur ces entrefaites qu’est née l’APDA.
Elle a pour objectif principal de relever le niveau de compétitivité des entreprises artisanales par la formation, l’encadrement et le financement des PME/PMI artisanales par la formalisation du produit artisanal qui est dans l’informel mais aussi par la labellisation des produits artisanaux pour permettre aux artisans sénégalais de pouvoir commercialiser au maximum leurs produits qui, je le rappelle, étaient déjà des produits de qualité. Donc, l’APDA est née pour devenir le réceptacle unique de coordination de la politique nationale de promotion et de développement de l’artisanat. Il est vrai qu’il a suivi maintenant son bonhomme de chemin avec ses hauts et ses bas. Mais sur le texte, c’est principalement cela qui est visé.
Comment se porte le secteur de l’artisanat et quelles sont les contraintes de l’artisanat au Sénégal ?
La première contrainte dans le secteur de l’artisanat c’est la dispersion des organisations artisanes. Dans ce secteur, il n’existe pas encore d’organisation qui parle au nom de l’artisanat. Dans chaque corps ou dans chaque filière vous avez plusieurs organisations qui répondent. Ça, c’est une difficulté majeure.
La deuxième difficulté c’est que les Sénégalais et même certains décideurs ne connaissent pas l’artisanat. Contrairement au Chef de l’Etat qui, depuis 2012, a pris beaucoup de décisions allant dans le sens d’inciter les artisans à avoir un œil beaucoup plus positif sur ce secteur là jusqu’en faire un ministère.
C’est pourquoi nous avons initié une tournée nationale « sunu artisanat sunu kom kom » qui nous permet de faire le tour du Sénégal tous les ans. Ce, pour rencontrer les leaders d’opinion, les leaders religieux, les leaders associatifs, entre autres, leaders pour leur parler de l’artisanat. Parce que nous avons compris qu’avant de vendre notre artisanat à l’extérieur, il fallait d’abord le vendre dans notre territoire. Et depuis que je suis là, ce travail a son impact puisque de plus en plus, les Sénégalais surtout dans le domaine de la couture, des cuirs et peaux, vivent l’artisanat de leur pays.
L’autre contrainte, c’est que les dotations que nous recevons de l’Etat sont insuffisantes. Néanmoins, nous faisons avec et nous cherchons à avoir des ressources additionnelles avec des projets que nous avons mis en place pour nous permettre de ne pas nous limiter seulement aux dotations que l’Etat réserve à la structure. Cependant, nous avons espoir avec l’avènement du nouveau ministère que cette année il y aura beaucoup plus de ressources qui vont nous permettre de prendre en charge les innombrables projets qui sont dans nos tiroirs faute de financement.
Quelles sont les réformes à envisager?
Il y a quelque mois, nous avons mis en place la stratégie nationale du développement de l’artisanat qui n’existait pas et qui était, depuis quelques années, confiée à des experts. Mais depuis quelques mois, nous avons validé la stratégie avec les acteurs. Actuellement, nous attendons l’autorité pour pouvoir la mettre en œuvre. Puisque nous sommes pour le moment dans le budget programme. Le programme artisanal du ministère est un programme très alléchant qui ratisse large et qui va se baser sur cette stratégie et qui va permettre enfin au secteur de l’artisanat d’avoir un plan stratégique de son développement. Ce, pour permettre non seulement aux artisans de pouvoir s’organiser, de pouvoir se former mais aussi de pouvoir vendre leurs produits. Ce qui va beaucoup arranger les artisans surtout dans ce contexte de difficulté économique pour ce secteur-là.
Il paraît que le Sénégal n’a pas encore ratifié le Code de l’artisanat de l’UEMOA. Et selon vous, pourquoi les choses tardent ?
Vous savez que le Code de l’Uemoa est un règlement. Et le règlement souvent certains pays n’ont pas l’obligation de tout prendre d’un seul coup. Parce que c’est quand même colossal et ça demande des modifications de texte à n’en plus finir. Et ce que nous avons fait depuis c’est de commencer à n’en prendre, à n’en appliquer. Je ne crois pas qu’il y’a un pays dans l’Uemoa qui a appliqué dans son intégralité ce règlement. Mais au fur et à mesure que nous avançons, nous prenons des éléments de ce texte que nous appliquons. Par exemple quand on dit que l’artisanat comporte 120 corps de métiers ça, c’est dans ce texte là que ça se retrouve. Quand on qualifie l’entreprise artisanale qui a tel compagnon ou telle compagne, toutes ces définitions-là, nous les prenons dans ce règlement. Il y a beaucoup de chose que nous prenons dans ce code. Mais aussi, il y’a beaucoup de chose qui reste à prendre parce que c’est consenti à des palissades de contrainte juridique ou juridictionnelle qui peut-être demain nous permettra avec les réformes enclenchées d’aller dans ce sens-là et d’en appliquer le maximum possible.
Quelle est la part de l’artisanat dans le Produit Intérieur Brut (PIB) du Sénégal?
Dans le Code de l’Uemoa pour le PIB sénégalais nous sommes à 20% avoisinant. Parce que nous sommes confrontés à un problème de statistiques au Sénégal. Depuis 1992 nous n’avons pas de bons chiffres. Souvent on se réfère aux chiffres de 92 et ces chiffres renseignent que nous avons 378.000 artisans alors que tout le monde sait qu’aujourd’hui nous dépassons le million. Donc, ça c’est un problème. Il nous faut des moyens pour pouvoir nous payer un recensement général au Sénégal qui nous permettra de connaître le nombre d’artisans et le nombre d’entreprises artisanales au Sénégal et l’impact de l’artisanat dans l’économie nationale, dans le PIB etc. Ça permettra même aux décideurs dans ce domaine de pouvoir mieux considérer ce secteur. Je pense que nous avons un avocat, le président de la République qui, au-delà de cet aspect, prend des décisions qui permettent de nous valoriser à chaque fois. Puisqu’il connait ce secteur et il sait aussi que ce secteur peut lui faire-valoir beaucoup de satisfaction dans le domaine de la culture de la richesse, de l’emploi des jeunes diplômés,… Malgré les contraintes notées un peu plus haut, nous avons un chef de l’Etat qui comprend et avec l’avènement du ministère et les 15% de la commande publique, les réformes qu’il a demandées sur la réforme de la stratégie nationale de la promotion de l’artisanat, la chambre des chambres de métier et sa modernisation, la réforme de l’APDA, je pense qu’avec ça nous pourrons connaître des lendemains meilleurs.
Qu’en est-il de la validation de la Stratégie nationale de développement de l’artisanat et du décret d’harmonisation de l’APDA ?
Ce sont des textes qui sont déjà élaborés. Pour la Snda, il a été validé en présence de tous les acteurs du secteur. Le texte est dans le circuit et se retrouve entre les mains du nouveau ministre. Pour l’APDA, le texte a été modifié et c’est pour juste donner à l’APDA plus d’efficacité dans l’opérationnalité. Pour les Chambres de métier aussi le texte est fait. Et bientôt vous verrez la modernisation de ce secteur qui permettra d’ouvrir des portes aux artisans.
Il y a combien d’entreprises artisanales recensées au Sénégal ?
Malheureusement nous avons comme je l’ai dit la référence de 1992. Pour cette référence, nous avons 177.000 entreprises artisanales mais cela a été dépassé. La preuve? Le seul fait du fond de résilience qui a été octroyé aux artisans par le président, aujourd’hui nous sommes à des centaines de milliers d’entreprises pour les 35 milliards qui vont être distribués. Donc, il faut lancer un recensement exhaustif pour connaître toutes les entreprises et les acteurs qui interviennent dans ce secteur.
Le président Macky Sall avait demandé à ce que les 15% de la commande publique soient octroyés aux artisans locaux ? Est-ce que cela a été respecté ?
La commande publique c’est le fait de pouvoir donner à des artisans une commande et qu’ils puissent un pouvoir d’achat. Ça, c’est un des aspects du mobilier. Pour revenir à la question, je dirai que ça n’a pas été respecté. Parce que quand le Chef de l’Etat dit que 15% de la commande publique soient donnés aux artisans parce que c’est une discrimination positive. Et ce n’est pas seulement au niveau de la commande centrale de l’Etat. Au niveau de la DMTA, il y’a beaucoup d’efforts qui ont été faits. Aujourd’hui on est à 2 milliards alors qu’on avait démarré avec 300 millions. Mais vous conviendrez que 2 milliards de la commande publique c’est insuffisant. Il faut préciser que le chef de l’Etat voudrait que dans toute commande publique du Sénégal que les 15% soient donnés aux artisans. Si on respecte cette mesure, beaucoup de problèmes vont être réglés. Mais vous le constatez que certaines collectivités territoriales continuent à commander des meubles qui nous viennent de l’extérieur au détriment de nos artisans qui font de meilleurs qualité et plus durable.
Le secteur de l’artisanat a-t-il été impacté par la crise sanitaire ? Si oui à combien estimez-vous les pertes?
Le tourisme est l’un des secteurs les plus impactés par la Covid-19. Puisque l’artisanat d’art est adossé au tourisme et nos artisans d’art ne travaillent plus. L’artisanat de production a aussi subi un contre coup de l’effet fermeture des frontières. Nos cordonniers aussi n’arrivaient pas à exporter leurs chaussures dans la sous-région. Il y a l’absence de ressources constatée partout. Tout cela a diminué le capital du secteur artisanal. Mais n’eut été le soutien du président Macky Sall qui a sorti 30 milliards et qui fait partie des plus gros montant décernés à un secteur ça allait être pire. Maintenant, nous attendons le fond de relance qui va nous permettre d’accompagner durablement le secteur. Cela permettra à nos artisans d’atténuer le choc en attendant que les choses reprennent normalement. Par ailleurs, nous profitons de cette crise pour former nos artisans dans des domaines comme les Tic, les ventes en ligne etc.
Cheikh Moussa SARR