De la conscience dans la voix et voix de la conscience, votre invité people est un modèle d’artiste émergent. PPS, pour ne pas le nommer, n’est pas dans le rap contestataire ex nihilo, mais dans l’engagement éclairant pour ciseler un phrasé didactique. Les connaisseurs comprendront qu’il a de qui tenir, avec Duggee Tee et Mc Solar pour le verbe chanté engagé dans l’éclectisme éducatif aux valeurs. Des concepts Guimmi Guindi a Sunu kaddu, le rap se veut thérapeutique et représentatif d’une axiologie bien africaine. Appréciez la maestria….
Votre premier contact avec le hip-hop s’est fait très jeune, à travers MC Solaar et Duggy Tee. Comment ces artistes ont-ils influencé votre style et votre vision du rap ?
Duggy est la première personne que j’ai vu faire du rap, mon tout premier contact, ma star à moi ! Et c’est un ami d’enfance de la Sicap Souhel qui m’a fait découvrir MC Solaar. Duggy m’a inspiré son style, ses dreadlocks et son engagement africain. Solaar, quant à lui, m’a appris le storytelling et l’art de raconter de belles histoires qui reflètent mon vécu et mes émotions dans mes propres écrits.
Le concept « GUIMI GUINDI » (rester éveillé et conscientiser) est au cœur de votre démarche artistique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que cela signifie concrètement dans votre musique ?
Le concept « Gimmi Gindi » est né de mon groupe Mé Sage Hé et représente la somme de nos expériences personnelles. Nous sommes originaires d’un quartier populaire, Dangou Nord à Rufisque, et avons grandi avec un mouvement hip-hop très engagé socialement et politiquement. Au fil de notre parcours, nous avons été témoins de la grandeur mais aussi de la décadence, de rêves brisés, de l’insécurité et de la pauvreté. Nous avons vu des jeunes prometteurs se perdre en route. Ayant conscience de notre chance de pouvoir suivre nos propres rêves, nous nous sentons investis d’une responsabilité, celle d’être la voix des sans-voix et de partager notre vécu à travers notre musique. Et le projet « Gimmi Gindi » traduit cette volonté de transmettre notre expérience et de donner une voix à ceux qui n’en ont pas.
Vous avez créé plusieurs groupes dans votre parcours (Crazy Boyz, BA-TEEN, MESAH-GE). Comment ces différentes expériences ont-elles façonné l’artiste que vous êtes aujourd’hui ?
J’ai commencé le rap à l’époque des Crews et des Possees, une époque où le nombre était important. Crazy Boys a été mon premier groupe à la Sicap Baobab avec mes amis d’enfance. Ensuite de retour à Rufisque j’ai continué avec mon cousin Souleymane (Black African Teenagers – BATEEN). En 1999, deux autres amis (Bouray et Ibou) nous ont rejoints et nous avons créé le groupe ME-SAGE-HE, un légendaire groupe de la scène underground de Rufisque à Thiaroye. Je n’ai d’ailleurs jamais quitté ce groupe, car c’est en première année à l’UCAD en 2004 que mes amis se sont réunis et ont décidé que j’avais le potentiel pour évoluer en solo, tout en me gardant sous l’aile du crew pour m’aider dans ma carrière. L’expérience du groupe a été enrichissante, la concurrence interne m’a poussé à me surpasser, tout en m’offrant l’opportunité d’apprendre des autres et de m’améliorer musicalement.
Le projet SUNU KADDU semble avoir une forte dimension sociale. Quels impacts concrets avez-vous pu observer sur les jeunes des quartiers défavorisés de Rufisque ?
SUNU KADDU est un projet culturel, social et éducatif, conçu pour répondre aux besoins de la jeunesse de notre ville. Cette idée m’est venue lors de ma participation au programme Onebeat aux États-Unis en 2012. Dès mon retour, nous avons commencé par mettre en place une formation d’ingénieur du son, un besoin crucial dans notre région, en partenariat avec l’ambassade américaine à Dakar et Sound Found Nation en 2013.En 2014, nous avons ensuite monté un studio d’enregistrement, produit des albums, une compilation et des cyphers. Nous avons également organisé de nombreux événements de grande envergure à Dakar, Rufisque et Thiès, ainsi que des journées sociales et citoyennes. Actuellement, dans le cadre de la Biennale Dak’Art 2024, nous organisons le programme « Ñoo Far » (We are together), un concours d’art scolaire et des expositions soutenus par l’ambassade américaine à Dakar. Ce programme implique les lycées Abdoulaye Sadji, Limamoulaye, John Fitzgerald Kennedy et le collège Martin Luther King.
Vous vous définissez comme un « militant du hip hop conscient et parlementaire du peuple ». Comment conjuguez-vous ces deux aspects dans votre musique ?
Je me vois en député avec un mandat de mon peuple, car j’ai la voix et la plume pour m’exprimer. C’est un grand pouvoir que je dois exercer avec responsabilité. Ceux qui me suivent depuis plus de 10 ans savent que j’ai la capacité de joindre l’utile à l’agréable, produire de la bonne musique tout en véhiculant un message important et impactant.
En 2020, vous avez sorti deux albums en six mois malgré la crise sanitaire. Comment avez-vous vécu cette période créative intense ?
Quand on demande à un artiste de rester confiné chez lui, on peut être certain qu’il saura s’occuper et rester productif. Avec les restrictions liées à la COVID-19, j’ai eu l’opportunité de travailler davantage. En parfaite alchimie avec mon frère Kayeed, nous avons ainsi pu réaliser les albums « Ninki Nanka » et « Bés Bu Bees », ainsi que l’EP « Black Saiyan » sorti le 7 juin 2021.Cette période de confinement m’a permis d’être très créatifs et il nous reste encore quelques titres dans nos tiroirs, datant de cette même période particulière.
Votre musique puise dans les percussions sénégalaises traditionnelles, notamment avec le projet MADE IN GALSEN. Comment équilibrez-vous tradition et modernité dans votre art ?
Je suis né à Dangou et ma maison familiale fait face à celle de la famille de Père Mbassou Ngom (Ngewel). Depuis mon enfance, les sabars font partie intégrante de mon quotidien et j’en joue depuis toujours. Nous sommes le rap Galsen et nous avons la responsabilité de valoriser notre patrimoine culturel à travers notre musique, afin d’embrasser le monde. Heureusement, beaucoup d’entre nous s’acquittent déjà très bien de cette mission.
L’expérience OneBeat vous a permis de représenter l’Afrique de l’Ouest aux États-Unis. Qu’est-ce que cette expérience internationale a apporté à votre musique ?
J’ai participé au programme Onebeat en 2012, puis à Onebeat All Star en 2022. Ces expériences ont profondément changé ma façon de voir et de faire de la musique, ainsi que ma perception du monde. Lorsque vous vous retrouvez dans un groupe de 32 musiciens provenant de 25 pays différents, cela vous transforme complètement. Vous ne pouvez qu’évoluer et mûrir face à cette richesse culturelle et cette diversité artistique.
Vous évoquez l’importance des « valeurs humaines et sociales » dans votre rap. Quelles sont ces valeurs essentielles que vous souhaitez transmettre à travers votre musique ?
L’amour, l’entraide et le partage doivent être au cœur de nos préoccupations. Notre rôle est de casser les murs et de construire des ponts dans un monde fait de toutes les couleurs. Notre différence ne doit pas être une barrière, mais bien une richesse.
En tant que « Pur Produit Sénégalais » aspirant à devenir l’un des leaders du hip-hop africain, quelle vision avez-vous pour l’avenir du hip-hop au Sénégal ?
Nous avons le potentiel d’aller encore plus loin et de faire mieux en valorisant nos langues, nos valeurs, nos sonorités musicales et nos saveurs culinaires. Si d’autres pays africains ont su mettre en avant leur patrimoine culturel avec succès, il n’y aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas y arriver également.
Des projets en vue ?
Sunu Kaddu se prépare à produire le premier album du groupe FEE, composé de trois jeunes artistes de Rufisque : Friday, Emi et Elzo qui sont prêts à se faire un nom dans l’industrie musicale. De mon côté, j’ai fait de nombreuses collaborations qui sortiront prochainement. Parmi celles-ci, on peut citer un album très classique en collaboration avec Sidy Talla Discrimination, actuellement en phase de mixage. J’ai également enregistré un album solo en 2022 aux États-Unis avec Sab Sy Music Dealer, qui comprend des featuring avec des artistes africains et internationaux de renom. Cet album solo est prévu pour 2025.
ANNA THIAW