Le spécialiste en santé publique, Dr Sylla Thiam s’est prononcé sur la grève de la faim en milieu carcéral qui fait l’actualité en ce moment. Selon le médecin, le refus de s’alimenter est pourvoyeur de complications potentiellement graves qui menacent la vie.
L’actualité politique reste marquée par la grève de faim des détenus pour exprimer leur désaccord avec le régime. Ce qui a incité Dr Sylla Thiam, spécialiste en santé publique de faire un diagnostic sur ce phénomène qui affecte la santé des grévistes. « C’est un drame que ces individus vivent ainsi que leur entourage et le commun des sénégalais ne mesure pas la gravité », dit-il. Il rappelle que la déclaration de Malte de l’assemblée médicale mondiale sur les grévistes de la faim, adoptée en 1991 et révisée en 2006 montre qu’un gréviste de la faim est une personne, en pleine possession de ses capacités mentales, qui fait connaître sa volonté de refuser toute alimentation solide ou liquide pendant une durée importante.
Autrement, il s’agit d’un refus proclamé par un sujet ou un groupe de s’alimenter dans un but de protestation ou de revendication. « A La différence du jeûne où il y a des périodes de ruptures, la grève de la faim est continue et c’est là où réside le danger. Le refus de s’alimenter est pourvoyeur de complications potentiellement graves qui menacent la vie du sujet par les déficits, la déshydratation ainsi que les désordres métaboliques qu’il induits », avertit-il. Et de poursuivre : » On observe généralement trois phases évolutive à savoir la première phase dure 5 à 15 jours où l’organisme épuise ses réserves en sucre (glycogène) pour faire face aux besoins énergétiques ponctuels avec une perte rapide de poids. La deuxième phase, survient à partir du 15ème jour et correspond à la consommation des graisses (lipides), sa durée est variable et dépend de la masse grasse totale. Elle sera donc plus longue chez les obèses, beaucoup plus courte chez les sujets maigres au départ.
Plusieurs symptômes pénibles apparaissent comme une fatigue extrême, des maux de tête, une hypotension avec des vertiges surtout en position debout (forçant à la position couchée), une bradycardie (le cœur devient lent), une baisse des capacités de concentration et de réflexion, des douleurs musculaires, des crampes abdominales, une diminution de la température corporelle et une insomnie. La troisième phase apparait entre la troisième et la quatrième semaine et est marquée par la consommation des protéines, elle touche les tissus nobles de manière progressivement irréversible avec des complications graves tels que des vomissements, un ictère (jaunisse), des problèmes d’audition et de vision, des hémorragies des lésions cutanées, une cachexie, des troubles du comportement et des lésions cérébrales pouvant aller jusqu’à la mort ». Il fait noter que d’autres complications comme l’insuffisance rénale, l’hypertension artérielle, les troubles métaboliques, les convulsions, les délires et les lésions cérébrales peuvent apparaître de manière précoce. » Il s’agit dans ces cas d’urgences médicales qui nécessitent une prise en charge rapide et efficace. D’où l’importance d’une surveillance stricte et permanente des grévistes de la faim », prescrit-il.
De son avis, la raison d’une grève de la faim reste généralement un sentiment d’injustice qu’exprime l’individu à travers une violence qu’il exerce sur son organisme pour montrer son refus et attirer l’attention sur son cas. « Ce choix est interprété diversement par les principaux protagonistes. Certains qualifient cette pratique de chantage ou de menaces, d’autres parlent de suicide, de folie, de faiblesse…, tandis qu’une bonne partie de l’opinion semble complètement indifférente au drame qui se joue. C’est peut-être par ignorance ou tout simplement manque de compassion, mais à mon sens l’Etat et la société en général n’accordent pas assez de valeur aux dangers auxquels font face les grévistes de la faim », regrette-t-il. A l’en croire, à la souffrance vécue et exprimée par les grévistes de la faim, s’ajoute celle de leurs familles et de leurs proches qui vivent une angoisse permanente terrible. « Ils sont tiraillés par des sentiments de culpabilité et de peur, scrutant les informations, étant en permanence à l’affut des nouvelles du détenu, s’attendant toujours au pire tout en redoutant de recevoir une mauvaise nouvelle », estime-t-il.
En ce sens; il soutient que le praticien est confronté à un dilemme et doit porter assistance et en même temps respecter la volonté du sujet. « C’est pourquoi, il a le devoir d’informer clairement le détenu des risques encourus, d’assurer une surveillance régulière et de prendre les bonnes décisions », indique-t-il. Le spécialiste en santé publique de soutenir que la grève de la faim en milieu carcéral ne doit pas être négligée, au contraire elle doit faire l’objet d’une considération à la mesure de sa gravité. » L’Etat à qui est destiné le message des grévistes de la faim est le premier responsable. En tant que garant de la santé et de la sécurité des citoyens conformément à la Constitution, il se doit de réagir promptement et de donner des réponses appropriées pour éviter le pire. Il doit faire face à ses responsabilités en évitant de bander les muscles ou d’opposer une indifférence face à une souffrance pouvant être tragique », juge-t-il.
Le Dr Thiam reste convaincu que les proches des détenus doivent être impliqués pour qu’ils utilisent leur influence afin que le fil rouge ne soit pas franchi par le détenu dans son refus de s’alimenter, car par moments, dans sa diète, il ne jouit plus de toutes ses capacités. « Enfin il est urgent que les médiateurs sociaux (autorités religieuses, coutumiers, politiques, célébrités…) prennent leur bâton de pèlerin pour jouer la médiation entre les parties car il s’agit de citoyens sénégalais qui ont besoin d’aide. Personne n’a le droit de les laisser se noyer, avec leurs familles, quel que soit le prix ! La vie humaine est précieuse », martèle-t-il.
NGOYA NDIAYE